Morgue pleine, les lundis noirs d’Eugène Tarpion.

 

                                                              


Par Robert Laplante

Je hais les lundis! Pas vous? Je sais, je sais, je sais, comme chantait Jean Gabin. Il y a : Garfield, le célèbre chat de Jim Davis, ainsi que Brenda Ann Spencer, l’héroïne du mégatube des Boomtown Rats I Don’t Like Mondays.


                                                      



 Et puis il y a Eugène Tarpion,

Eugène qui? Vous ne le connaissez sans doute pas du tout. C’est un peu normal. Eugène Tarpion est un ancien flic devenu détective privé. C’est aussi le protagoniste de certains des excellents polars de Jean-Patrick Manchette. Alors, pour le découvrir pourquoi ne pas lire Morgue Pleine, l’adaptation en bande dessinée du roman du même nom signée Max Cabanes et Doug Headline, le fils de Manchette.

                                                


Bref pour Tarpion les lundis sont toujours déprimants. Surtout ce lundi frisquet de ce printemps pourri de 1973. Ce lundi où autour de minuit Memphis Charles, comédienne sans envergure et cascadeuse, paniquée, vient tambouriner à sa porte. Elle a retrouvé sa colocataire Grizelda, elle aussi actrice, morte dans sa piaule. Homicide ou suicide?


                                           


Pour Memphis Charles, qui penche pour garder cette mort secrète, Tarpion ne veut pas s’occuper de son cas. Pire encore, il lui recommande d’aller voir la police. Tarpion évite les morts volontaires comme les meurtres. Il préfère, et de loin, faire de la surveillance et des cas de divorces. On a tous nos spécialités.

Les polars, étant ce qu’ils sont, Tarpion est embarqué malgré lui, on s’en doute, dans cette sombre histoire où se côtoient Américains un peu agressifs, policiers butés, gauchistes de salon radicaux, malfrats sans envergure, journaliste alcoolo retraité, un paquet de cadavres et l’insaisissable Memphis Charles toujours au mauvais endroit, mais au bon moment.

Il y a des petits moments de lecture qu’on savoure goulûment avec enthousiasme et ravissement. L’irrésistible Morgue pleine, qui sent bon la poésie d’Audiard et de Giovanni et le cinéma «truandesque» français des années 1960 — 1970, en fait partie.

Après avoir été admirablement servi par Tardi, 3 adaptations de ses romans et un scénario original, c’est maintenant à Max Cabanes de redonner vie aux mélancoliques enquêtes de l’écrivain parti trop tôt.

J’ai toujours pensé que le trait «léomalesque» de Tardi était le plus adapté pour traduire la douce et fascinante amertume des polars de Manchette. Mais j’avoue que Cabanes m’a littéralement bluffé. Je n’aurais jamais cru écrire ça un jour, moi qui suis un aficionado de Tardi, mais son réalisme atmosphérique reflète parfaitement l’univers paumé du romancier.

Chacune de ses planches est trempée dans l’encre délavée du désarroi. Le désespoir de ceux qui sont nés du côté obscur de la vie, là où la chance n’existe pas et les rêves, même les plus accessibles, meurent étouffés par cette guigne qui leur colle à la peau comme la misère sur le pauvre monde.

Cabanes valse avec la séduisante tristesse des mots de Manchette, qui résonne comme un solo nocturne de Chet Baker.

                                            


 Ces mots d’acteurs indispensables de ce petit théâtre glauque, réjouissant et presque subtil.

Parce qu’il y a des parcelles de lumière et de plaisir dans ce petit monde désespéré. La mélodie des dialogues de Manchette y est sûrement pour beaucoup. Tout comme l’intelligence de son histoire et l’acuité de son regard fataliste. À moins que ce ne soit ses clins d’œil à ces films de gangsters «made in France», ou à ces polars hexagonaux qui ont nourri mon adolescence.

Une bande dessinée invitante.

Pour ce qui est des lundis, je suis prêt à parier qu’Eugène Tarpion les déteste encore plus depuis Morgue pleine.


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