Black Beard : sur les flots rouges des 7 mers.

 

                                                    


Par Robert Laplante

En 1724, Daniel Defoe, celui de l’incontournable Robinson Crusoé, publie Histoire générale des plus fameux pyrates. Un passionnant recueil d’une trentaine de biographies fantasmées des plus mémorables écumeurs des sept mers. Signé sous le pseudonyme du capitaine Charles Johnson, pour lui donner un parfum d’authenticité, le bouquin de Defoe, dont la paternité est remise en question depuis les années 2000, s’est imposé dans l’imaginaire collectif.

                                                   


Parmi les plus cruels forbans que peint Defoe, il y a l’infâme Edward Teach. Le tristement célèbre Barbe-Noire, dont le seul nom faisait trembler l’Angleterre, la France, l’Espagne et sans doute le Portugal. Cet Edouard Teach à la barbe épaisse et aux mèches de canons allumées disséminées dans sa tignasse lors de ses combats.

                                              


Décembre 1721, Daniel Defoe est appelé d’urgence à la prison de Marshalsea pour rencontrer un des pensionnaires qui clame son innocence. Loin d’être un compagnon du terrible Edward Teach, il en serait plutôt une victime. C’est du moins ce qu’il soutient. L’auteur qui visite les prisons de Sa Majesté pour colliger les souvenirs des pirates écoute avec intérêt son récit.

                                                         


C’est cette rencontre que raconte Jean-Yves Delitte dans le diptyque Black Beard publié chez Glénat. Avec le talent et la rigueur qu’on lui connaît le créateur de Black Crow, part à la recherche du Edouard Teach historique, pas celui de la légende, pas celui des Pirates des Caraïbes, pas celui de Black Sails et encore moins celui du vieux Nick, pour ceux qui se rappelle de la sympathique bédé de Marcel Remacle.

                                        


Comme à son habitude, Delitte fait preuve d’une incroyable précision dans son trait. Ses navires sont toujours magnifiques. Personne sur la planète franco-belge de la BD ne les décrit mieux que le bédéiste, peintre officiel de la Marine et membre titulaire de l’Académie des Arts et Sciences de la Mer.

Si cette exactitude est une de ses grandes qualités, elle est toutefois accompagnée d’une rigidité qui nuit au souffle épique qui doit nourrir une légende comme celle de Barbe-Noire. Comme si son besoin de reproduire le plus fidèlement possible, la réalité historique prenait le dessus sur la douce imperfection presque poétique qui fait voguer l’imagination sur des océans lointains. C’est ce que Defoe avait compris en réinterprétant les confidences des pirates interrogés.

Son académisme semble moins à l’aise dans l’univers un peu fantasque, grandiloquent et mégalomane de la piraterie, du moins dans celui qui s’est imposé depuis L’île au trésor de Stevenson.

J’ai beaucoup songé au Diable des sept mers d’Hermann et de Yves H en lisant Delitte. Comme j’ai repensé aux autres bédés de pirates, aux bouquins de Stevenson, de Defoe, de Björn Larsson et aux ouvrages historiques sur le sujet que j’ai dans ma bibliothèque. J’ai beaucoup pensé à cette petite flamme de passion qui était présente dans leurs pages, même les plus sérieux, et qui est absente de celui de Delitte.

                             

C’est cette étincelle de folie qui manque à Black Beard. Celle qui lui aurait permis de devenir une bande dessinée exceptionnelle au lieu d’être une bande dessinée honnête, agréable à consulter, qui m’a laissé sur ma faim.

Delitte est un dessinateur que j’affectionne, mais que j’apprécierais encore plus s’il laissait la passion s’échapper un peu plus de son trait trop parfait, trop figé. L’épopée plus grande que nature de Barbe-Noire le mériterait.

Jean-Yves Delitte, Black Beard 2 tomes Glénat.

Commentaires

Messages les plus consultés de ce blogue

Les bandes dessinées de l’année 2023

Du grand Ken Follett

Les coups de coeur de l’année 2023