La ferme des animaux : Il y a quelque chose pourri dans la ferme du Manoir.

                                                                    


Par Robert Laplante

On parle beaucoup du 1984 de George Orwell ces dernières années. On en parle beaucoup parce que jamais le cauchemar totalitaire qu’il y met en scène n’a paru aussi proche. Mais il n’y a pas que ce roman de l’écrivain britannique qui trouve un écho dans notre époque trouble. Il y a aussi La ferme des animaux. Une inquiétante fable, publiée en 1945, qui n’a pas perdu de son mordant. Une préoccupante fable que Rodolphe et Le Sourd viennent d’adapter en bédé.

                                            


Rappelons, pour les rares qui n’en ont jamais entendu discourir, que La ferme des animaux raconte la révolte des animaux de la ferme du Manoir contre le despotisme du terrible Mr Jones et la naissance d’un gouvernement démocratique animal. Une république animale qui promettait un monde meilleur pour les bêtes, plus égalitaire, plus bienveillant. Un monde où ils les hommes n’imposeraient plus leur domination et leur violence.

Hélas une bonne idée peut facilement devenir toxique et une révolution, aussi nourrie des plus beaux idéaux, peut être rapidement confisquée par une élite, ici en l’occurrence les porcs, qui la transforme en un appareil répressif et tyrannique. Plus ça change, plus c’est une chose égale.

Presque 80 ans après sa parution, La ferme des animaux n’a pas pris une ride. Et même, si à l’origine, elle était une critique virulente du stalinisme, elle reste toujours aussi pertinente. Il faut dire qu’avec la montée de nos néo-curés laïques et leurs discours, qui sous des airs de bienveillance cachent quelques fois les larves du totalitarisme, elle ne pouvait que rester actuelle.

                                               


Ce n’est pas la première appropriation de la fable d’Orwell. Au fil des décennies, elle en a instillé plus d’un. On en a fait un film d’animation en 1954, financé en partie par la CIA, une pièce de théâtre, deux jeux vidéo et plusieurs adaptations en bandes dessinées. Certaines fidèles et d’autres librement inspirés comme Le château des animaux de Dorison et Delep. Même le légendaire groupe Pink Floyd s’en est inspiré pour l’écriture d’Animals. J’ai moi-même lu il y a longtemps, quelque part dans la seconde moitié de la décennie 80, celle de Jean Giraud et Marc Bati.

Si cette version ne m’a pas laissé de souvenirs mémorables. Sinon peut-être celui de m’avoir fait prendre conscience de toute la force du court roman d’Orwell. Ce n’est pas du tout le cas de cette nouvelle mouture qui malgré quelques petits défauts est une bande dessinée qui fait beaucoup réfléchir.

                                        


Bien sûr il y a le nombre de pages qui semble restreindre un peu Rodolphe. Qui semble le forcer à faire un glissement trop rapide entre la démocratie et la dictature. Il est évident qu’avec plus de pages le scénariste aguerri aurait pu donner plus de respirations à la transition qui fait basculer tout doucement la démocratie animale en dictature porcine. Mais ce n’est pas bien grave après tout, puisqu’il respecte les grandes lignes du roman, sa fluidité narrative, son rythme et sa richesse.

                                         


Quant à Le Sourd il trouve le ton parfait pour illustrer le scénario de Rodolphe. En évitant l’esbroufe et l’épate, en optant pour la discrétion graphique, le dessinateur rend la narration «orwellienne» encore plus efficace, encore plus puissante, encore plus actuelle, encore plus inquiétante.

Mais le plus important c’est que cette adaptation peut faire redécouvrir ce texte essentiel à un public pour qui Orwell n’est que l’auteur de 1984. Un roman qu’on aime citer à tout vent, histoire de réconforter nos croyances, de faire partie de la «gang,» ou de se montrer intelligent.

Et pour ceux qui sont un peu rébarbatifs, à lire 1984, La ferme des animaux peut être une belle introduction à la pensée «orwellienne.»

Rodolphe, Patrick Le Sourd, d’après le roman de George Orwell, La ferme des animaux, Delcourt.

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