Saint-Exupéry: sur les ailes d’Hugo Pratt

 

                                                             


Par Robert Laplante

Le 31 juillet 1944, 8 h 25. Antoine de St-Exupéry décolle de l’aéroport de Bastia Poretta. Un aérodrome situé à 20 kilomètres au sud de Bastia en Haute-Corse. Seul, dans son P-38 Lightning, le célèbre pilote et homme de lettres effectue une reconnaissance photographique. Il doit prendre des clichés de la Provence pour permettre aux Alliés, qui y planifient un débarquement, d’avoir une meilleure idée du terrain.

                                                       


À 8 h 30 il se signale par écho radar. Ce sera la dernière fois qu’on aura de ses nouvelles. On retrouvera toutefois des pièces de son avion en 2000, formellement identifiés le 27 septembre 2003, au large de Marseille, près de l’île de Riou.

Que s’est-il passé après cette dernière communication? On ne le saura sans doute jamais. Mais Hugo Prat, lui, en a peut-être une mince idée, qu’il mettra en BD publiée pour la première fois en français en 1994. Une faible extrapolation qui se rencontre dans Saint-Exupéry, le dernier vol, le nouveau recueil que Casterman lui consacre.

                                              


Évidemment, pour ceux qui s’intéressent aux causes de la disparition de Saint-Exupéry, vous n’y trouverez pas de réponses. De toute façon je ne sais pas si ces réponses concernaient vraiment Pratt. Mais pour ceux qui, comme moi, sont en amour avec la musicalité de ses mots, avec son symbolisme, avec ses personnages plus grands que nature, droits dans leurs bottes, stoïques, aux répliques aussi savoureuses que laconiques, alors là, vous serez bien servi.

                                                  


Empreint de mélancolie Saint-Exupéry, le dernier vol est un hommage à cet immense personnage qui a traversé sa mort comme il a vécu sa vie : sans compromis, avec passion, romantisme, nostalgie, à l’image de cette société qui s'évanouit et qui s'engouffre dans le maelström, tous ces hommes et toutes ces femmes taillée à la mesure des enjeux qu’il offrait.

                                                                  


Un peu comme Corto Maltese, disparu pendant la guerre civile espagnole, le Saint-Exupéry de Pratt, mal adapté aux défis du monde naissant, ne pouvait survivre à la disparition de sa vieille société.

Si j’ai beaucoup aimé toutes les histoires de l’album, j’ai quand même un faible pour les deux dernières. Celles qui se passent dans l’Italie de Badoglio. L’Italie du 8 septembre 1943. Celle qui n’était plus fasciste. Celle qui rejoignait les forces alliées. Celle qui devait désormais lutter non seulement contre les Allemands, mais aussi contre la République sociale italienne. Cet état fantoche fasciste créé par Benito Mussolini en Italie centrale et septentrionale, dans les zones contrôlées par l’armée allemande.

Du jour au lendemain les soldats italiens doivent combattre leurs propres frères, leurs anciens alliés allemands et les Tchetniks, ces résistants yougoslaves fidèles au roi Pierre II et sacrifiés par les alliés au profit de Tito et de ses partisans.

                                                 


J’aime Pratt. Si j’avais été un personnage de bédé, j’aurais aimé être dans une de ses bédés. L’existentialisme, le cynisme noble, la dérision et le romantisme d’un autre temps qui teintent son lyrisme graphique et narratif me ressemblent. Je me reconnais dans Pratt depuis la première fois où, gamin, je l’ai lu dans Pif Gadget.

                             


             

C’est toujours avec le même ravissement, l’égale découverte et le plaisir inchangé que je renoue avec ses histoires qui sentent bon le parfum des auteurs qui ont nourri mon adolescence. Et cette nouvelle anthologie n’y fait pas exception.

Hugo Pratt, Saint-Exupéry, le dernier vol, Casterman.

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