La bibliomule de Cordoue, la mauvaise herbe du savoir

 

                                                             


Par Robert Laplante

Je l’ai! Je l’ai! . Je l’ai enfin trouvé ma bande dessinée de l’été! Peut-être même celle de l’année! Bon, je vous vois venir et je suis d’accord. C’est tôt. Il faudrait attendre encore un brin. Je suis peut-être un peu trop enthousiaste. Mais, j’en suis certain, quand, à la fin de l’année, je dresserai le palmarès de mes meilleures bédés, elle trônera en tête de liste ou fera partie du premier tiers.

Pourquoi me direz-vous? Pourquoi? Tout simplement parce que ça fait longtemps que je n’ai pas autant «trippé» sur une bande dessinée. 257 pages de pur plaisir que je me suis enfilé d’un coup, sans prendre de pause, hypnotisée par son sujet, par l’intelligence de son traitement, par la finesse de son scénario, par l’efficacité de sa narration et par son séduisant graphisme. Que voulez-vous demander de plus. La bibliomule de Cordoue est une sublime  alchimie entre l’Histoire et la fiction.  Elle est tout bonnement irrésistible.

976, califat d’Al Andalus, Espagne. Rien ne va plus dans ce haut lieu du savoir, de la science et de la culture. Rien ne va plus depuis que le trop jeune calife, il n’a que 10 ans, Hicham a succédé à son père al-Hakam II.

                                           


Ce n’est pas tant Hicham qui pose problème que son nouveau vizir Muhammad ibn Abî'Amir. Ce dernier profite de son influence sur son nouveau protégé pour imposer un rigorisme clérical qui tranche avec la liberté, la tolérance et la recherche du savoir, caractéristique des règnes des califes Abd el Rahman III et Al-Hakam II.

Avec, l’appui des autorités religieuses, qui en avaient assez de l’intérêt que portaient les deux précédents commandeurs des croyants aux enseignements issus de la Grèce classique, Amir le victorieux, comme on le surnomme, part en croisade contre les royaumes chrétiens, contre ses frères musulmans et contre tout ce qui contredit sa vision intégriste de l’Islam… dont les livres.

                                           


Tariq, eunuque responsable de la magnifique bibliothèque de Cordoue voit venir cette vague d’intolérance. Avec l’aide d’une de ses protégées, d’un ancien étudiant, devenu voleur, et d’une mule avec un sale caractère, il décide de sauver quelques-uns de ses 400 000 livres précieux. Un pari risqué pour l’esclave dodu et ses compagnons. Mais a-t-il vraiment le choix? Parce que si on compte sur la population qui ne s’intéresse guère aux livres, on est plutôt mal barré.

                                                       


Avec ses deux compères et la mule têtue, il devra parcourir le califat à la recherche d’un endroit qui pourrait accueillir ce qu’il reste de la bibliothèque et de ses inestimables écrits condamnés à un autodafé.

Merveilleux plaidoyer sur la quête de la sagesse, la transmission du savoir et l’importance des livres, La bibliomule de Cordoue est un véritable plaisir tant graphique que scénaristique.

                                                  


Lupano, dont d’habitude, je n’apprécie que modestement ses bandes dessinées, propose un canevas d’une grande qualité. Un récit qui intègre, adroitement l’histoire à une poursuite haletante, pleine de rebondissements, de personnages truculents, d’épreuves tragiques, de moments d’espoir, de réflexions inspirantes et de mystères.

Magnifiquement appuyé par le dessin dynamique de Chemineau, Lupano, nous guide avec brio dans cette émouvante lettre d’amour envers le livre et la connaissance, dans ce puissant réquisitoire contre l’intolérance et l’obscurantisme et dans cette profession de foi envers les livres. Les livres qui, malgré le fanatisme des sociétés intransigeantes qui voudraient bien les contrôler, continuent de fleurir comme ces herbes folles qui poussent entre les pavés et qui finissent par les avaler.

Superbe ouvrage au charme suranné des livres d’une autre époque, La bibliomule de Cordoue s’invite comme bulle de bonheur. Le genre de bonheur inspirant qu’on ressent quand on apprend autant qu’on s’amuse.

Il y a quelque chose qui fait du bien dans cette bande dessinée. Comme une note d’espoir, comme un souffle de liberté essentiel en ces temps d’intolérance où au nom de la vertu nous sommes prêts à interdire tout ce qui nous dérange et nous offusque.

La quête de Tarik et de ses compagnons est toujours aussi pertinente en cette année 2022. Comme elle l’était en 976. Comme elle l’a été tout au long de l’histoire de l’humanité.

À vous maintenant de la découvrir, et qui sait peut-être même de la partager.

Lupano, Chemineau La bibliomule de Cordoue, Dargaud.

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