Melvile, les rhizomes du mal.

                                                                    


Par Robert Laplante

Je vais avoir l’air fou. Mais bon ce n’est pas la première fois. Une semaine après avoir clamé que La bibliomule de Cordoue était la bédé de l’été et peut-être même de l’année je dois tempérer un peu mon enthousiasme.

Pourquoi? Tout simplement parce que je viens de finir L’histoire de Ruth Jacob. Le troisième opus de l’irrésistible saga de Romain Renard Melvile. Entendons-nous bien, La bibliomule de Cordoue reste ma bédé de l’été. Mais elle ne sera plus seule en haut du palmarès, elle devra dès maintenant partager la pole position avec cette nouvelle exploration de l’obscurité qui enveloppe Melvile, cette petite ville perdue au fond d’une forêt aussi sombre qu’étouffante.

                                               


Paul Rivest y a passé une partie des étés de son adolescence. Plus précisément chez sa grand-mère qui y habitait. L’été de ses 14 ans, lui l’étranger, se lie d’amitié et d’amour avec Ruth la fille du ténébreux et sévère pasteur. Et comme Melvile pourrit tout ce qu’elle touche, cet amour naissant sera vite corrompu par des secrets toxiques au parfum de la folie qui réside depuis toujours la lignée d’Abraham Tréjean son fondateur.

25 ans après la mort de sa grand-mère, 25 ans après le grand incendie qui a ravagé l’imaginaire «melvilien,» Paul Rivest doit y retourner, histoire de régler la vente de la maison qui a accueilli son enfance et sa jeune adolescence. Même ensevelis au plus profond de l’âme malsaine de la ville, ses mystères finissent toujours par remonter à la surface. Paul l’apprendra à ses dépens.

                                                   


Lumineux! Époustouflant! Superbe! Trois mots qui décrivent à merveille cet incroyable album. Il faut dire que dès la première case, Romain Renard distille subtilement les arômes anxiogènes du mystère. De ce mystère hypnotique qui nous garde sous sa coupe jusqu’à la conclusion. À un point tel qu’il est pratiquement impossible de ne pas dévorer Melvile d’un coup.

Lire d’un par un premier jet, mais aussi relire cette BD tant le graphisme est exceptionnel, la narration fascinante, les dialogues musicaux et l’ambiance, bercée au rythme des chansons de U2,

                                        


 de The Police, de Tears for Fears, 

                                                  


de Madonna, de David Bowie, de Bruce Springsteen

                                              


 et de Glenn Miller, est enveloppante, dramatique, obsédante et somptueux. Une atmosphère envoûtante, magnifiée par l’étouffante forêt, par ses arbres menaçants et par la lune. Cette lune omniprésente, dangereusement séduisante et insensible aux tragédies qui se jouent à Melvile.

Avec ses brillants va-et-vient temporels, ses allusions à l’histoire occulte «melvilienne,» et ses personnages généreux, méfiants et inquiétants, Romain Renard met en place un climat glauque où l’insoutenable attrait de la peur se métisse à l’irrésistible envie de franchir les interdits. Même si ces interdits revêtent la forme des secrets ignominieux qui se chuchotent entre initiés dans la moiteur de la nuit, dans le silence des alcôves.

Et puis il y a les 400 pages de l’album. 400 pages qui permettent au bédéiste de développer à la perfection son récit et sa mise en scène aérée et cinématographique. 400 passages d’une toile qu’il tisse habilement autour de nous, pour que nous soyons, nous aussi, pris au piège de cette ville noyée dans les brumes de la démence. De cette ville condamnée à un destin dramatique comme si des cultes païens l’avaient empoisonnée, elle, et ses environs.

À peine sorti de ce troisième opus, j’avais envie d’y plonger à nouveau. Comme si, moi aussi, j’étais hypnotisé par la beauté de sa damnation. Comme si je devais, malgré moi, m’y soumettre encore une fois : pour mieux la goûter, pour me repaître encore plus de ses magnifiques illustrations, pour renouer avec la nostalgie de ses chansons et pour revivre ce drame où joie, tragédie, tristesse, bonheur, déception, résilience et transfiguration valsent allégrement ensemble.

Wow! Wow! Wow! Je suis soufflé. Quelle grande bédé. Quel plaisir incommensurable de me retremper dans son univers où curieusement je me sens à l’aise. Beaucoup plus que Paul en tous cas.

Une autre preuve, si on en avait besoin d’une autre, que Romain Renard est un maître.

Romain Renard, Mevile, L’histoire de Ruth Jacob, Le Lombard.

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