Ernetti et le voyage interdit : Tempus fugit.

                                                                    


Par Robert Laplante

Pas facile de voyager dans le passé, surtout quand notre destination se trouve à quelque 13,8 milliards d’années. Et quand en plus notre machine à voyager dans le temps n’arrive plus à distinguer notre univers des autres mondes parallèles, nés eux aussi lors du Big-Bang, alors là franchement ça devient presque une mission impossible. Et pourtant c’est ce qu’expérimente le père Pellegrino Ernetti dans Ernetti et le voyage interdit. Un tout nouveau roman du réalisateur et documentariste Roland Portiche et la troisième enquête du religieux.

1982, un message mystérieux est capté par des radiotélescopes américains. Un message! Non plutôt une mise en garde. Un avertissement destiné à Pellegrino Ernetti. Est-ce que ce dernier serait encore en train de jouer avec des forces qui le dépassent?

                                      


Pourtant non, parce que le padre n’a pas touché à son chronoviseur depuis très longtemps. Exit les voyages dans le temps à la recherche du Christ. À cette quête aussi émotive que déstabilisante, il préfère maintenant sa petite vie religieuse tranquille, bercée au rythme de ses exorcismes, ses obligations pastorales ainsi que son enseignement musical. À la demande insistante de Jean-Paul II, Ernetti accepte de réutiliser son infernale machine pour aller aux confins de l’histoire du cosmos, là où tout a commencé. Pour identifier ce dont les hommes du passé veulent le mettre en garde.

                                    


Pour cette 3enquête séculière du père Ernetti, nous retrouvons sa fidèle alliée Natacha et son chronoviseur. Ernetti et le voyage interdit s’inscrit dans la lignée des précédents. Rythmé, plein de rebondissements et truffé de notions d’astrophysique ainsi que d’histoire politique drôlement bien vulgarisées. Bref, un véritable «page — turner» qui m’a tout à fait hypnotisé dès la première page. Portiche sait raconter efficacement une histoire.

                               




Pourtant, je suis sorti un peu frustré de cette nouvelle exploration. Non pas que je n’ai pas eu de plaisir, au contraire je m’y suis amusé comme un petit fou, mais j’ai eu l’impression qu’il y manquait un petit quelque chose. Comme si l’épopée d’Ernetti aux confins du temps et de l’espace n’était pas vraiment terminée. Comme si l’auteur s’était égaré dans sa machination, comme son héros l’est dans la multitude de mondes alternatifs qu’il visite. Comme si pour conclure son intrigue, il devait tourner les coins ronds et rattacher maladroitement tous les fils déroulés tout au long des 300 pages du roman.

                                        


Sans le savoir, Portiche est lui aussi tombé dans les failles des univers parallèles. Explorer le multivers est un exercice très difficile. L’auteur n’est pas le premier à se perdre dans les dédales du temps et des mondes connexes. D’autres avant, et pas les moindres, ont eu les mêmes difficultés. On peut penser à Marvel et DC qui y sont prisonniers depuis des décennies, à JJ Abrams dans sa série Fringe, on encore au romancier Graham Masterton dans Les gardiens de la porte. À force d’ouvrir trop de portillons, on finit par se perdre.

Pourtant, le roman commence merveilleusement bien. Portiche renoue avec ses grandes forces narratives, ses importantes envolées ésotériques — historico-politiques qui ont rendu ses deux premiers romans tout simplement irrésistibles. Mais quand ses personnages se mettent à errer dans les différents univers parallèles, je sens le romancier moins en contrôle de son intrigue.

                                            


Et puis il y a ces éléments abordés en début de roman, la mise en garde et la sphère d’où elle provient, qui soudainement disparaissent comme s’ils n’avaient plus de rôle à jouer.

Entendons-nous, bien le conte est excellent, J’ai eu un immense plaisir à le lire. Il m’a carrément séduit du début à la fin. Mais je m’attendais à plus. Il lui manque ce petit-je-ne-sais-quoi qui lui aurait permis d’être à la hauteur des deux premiers.

À moins que ce ne soit moi qui n’est pas à la hauteur de nouveau Portiche.

C’est bien possible après tout.

Roland Portiche, Ernetti et le voyage interdit. Albin Michel

Commentaires

Messages les plus consultés de ce blogue

Les bandes dessinées de l’année 2023

Du grand Ken Follett

Les coups de coeur de l’année 2023