Le petit frère. Parce qu’il y aussi le deuil.

 

                                                                   


                         

Par Robert Laplante

Décidément, mon été 2022 aura été exceptionnel. Du moins en matière de bédé. Encore une fois, j’ai eu le plaisir de lire cet été un grand cru dessiné. Une bande dessinée qui se retrouve déjà dans les premières places de mon top 10 de 2022.

Cette fois-ci, c’est Jean-Louis Tripp qui nous propose une histoire magnifique. Le genre de BD qui transforme une vie. Un livre bouleversant qui traite d’un phénomène qu’on expérimente tous un jour, mais dont les réactions diffèrent d’une personne à l’autre : Le deuil.

La tristesse, en question, est celle du petit frère du créateur : Gilles. Il meurt frappé par une automobile le 5 août 1976. Gilles disparaissant beaucoup trop tôt sous les roues d’un chauffard, qui préfère s’enfuir plutôt que de faire face à ses responsabilités.

                                                          


Le petit frère, c’est l’accident tragique et les heures qui ont suivi. Des jours marqués par la stupéfaction, la souffrance insoutenable qui transperce l’âme, la peine indescriptible qui fait perdre pied, l’incrédulité, la colère et la résignation. Des journées baignées dans une brume irréelle où le temps s’égrène lentement, très doucement, comme s’il n’existait plus.

Mais Le petit frère c’est beaucoup plus que ça. Parce que le deuil ne se résume pas qu’à la petite période où on apprivoise l’absence. Le deuil c’est aussi une douleur qui ne s’atténue jamais, même si elle semble en dormance. C’est une douleur tapie au fond de nous qui revient de temps en temps quand survient un souvenir… ou une autre mort qu’on doit apprivoiser.

                                                       


Le petit frère, c’est Jean-Louis Tripp qui renoue avec ses souvenirs, 45 ans après la tragique disparition et tous les sentiments qui l’ont envahi durant ces événements. Un retour dans le temps, mais sans la reconstruction des souvenirs imprécis. Comme s’il avait utilisé une machine à voyager dans le temps pour se retrouver en cette fin d’été 1976 sur cette route du Finistère.

Tripp est un maître dans l’art de l’autobiographie. Ses deux tomes d’Extases nous avaient proposé un auteur d’une grande franchise qui savait parler de lui sous toutes ses coutures, les plus lumineuses et les plus sombres. C’est ce même Tripp qu’on retrouve ici, avec sa lucidité impressionnante, son implacable sens de l’analyse et son pathos contrôlé.

                                                    


Alors que d’autres auraient pu en faire une œuvre d’une tristesse trop appuyée, qui nous aurait arraché toutes les larmes de nos corps. Comme ces larmoyants mélodrames cinématographiques italiens et mexicains des années 50 et 60. Tripp, lui, opte pour la sobriété, la retenue et le respect. On est loin de ces pleureuses qui hurlent et qui pleurent à faire déborder les rivières.

                                       


Jamais le bédéiste ne se glisse dans la peau de ses parents, de ses frères ou de sa sœur. Jamais il ne tente d’expliquer leurs réactions. Tripp ne parle que de lui. Même si les autres membres de sa famille y jouent un rôle important.

Avec son dessin expressif et ses mots troublants, il témoigne de son expérience sans l’ériger en modèle absolu du deuil. C’est un Tripp avec ses imperfections, ses forces, ses hésitations, ses certitudes, ses maladresses, qui tentent de négocier avec un événement révoltant, trop grand pour lui et auquel il n’est pas préparé, que nous propose sa nouvelle bédé.

Loin d’être un exorcisme, la bande dessinée est une façon de redonner une parcelle de vie à son petit frère qui a vu la sienne se terminer trop tôt.

J’aime beaucoup Tripp. J’aime le conteur, l’artiste, l’humain qui s’intéresse à notre condition. J’aime sa sensibilité, sa rationalité, son honnêteté intellectuelle et sa sobriété émotive. Le petit frère est la somme de toutes ces grandes qualités.

Tripp a fait très fort.

Jean-Louis Tripp, Le petit frère, Casterman.

Commentaires

Messages les plus consultés de ce blogue

Les bandes dessinées de l’année 2023

Du grand Ken Follett

Les coups de coeur de l’année 2023