Le goût du sang : Ce n’est pas parce que les feuilles sont rouges que l’automne est arrivé.

 

                                                           


Par Robert Laplante

Les sanglots longs des violons de l’automne blessent mon cœur d’une langueur monotone. Tout suffocant et blême, quand sonne l’heure, je me souviens des jours anciens et je pleure; et je m’en vais au vent mauvais qui m’emporte deçà, delà, pareil à la feuille morte.

                                                  


Quand septembre pointe le bout de son nez, que la cloche de la rentrée résonne tristement et que l’été se mue tout doucement en automne, je pense toujours à ce poème de Verlaine. Quand la mélancolie de ses vers m’envahit, il me faut souvent une fulgurante dose d’humour noir pour briser le joug de la torpeur septembrale.

En ce presque début d’automne 2022, ma dose d’humour noir c’est Debhume qui me l’a prodigué avec son éclatant Un goût du sang. Une irrésistible bande dessinée qui sent bon les films de Georges Lautner, les catastrophes quotidiennes scénaristiques d’Audiard, la superbe absurdité du Buffet Froid de Bertrand Blier et l’humour cynique de Tillieux.

Il est tout bonnement impossible de rester de glace devant cette surprenante rencontre entre Aldo, un truand qui vient d’être libéré après une peine de 9 ans, et Lou, une épouse qui vient de démembrer son comptable de mari. Une rendez-vous aussi improbable qu’hilarante composée de quiproquos et d’imbroglios. De ceux qui transforment les gestes quotidiens en désopilantes catastrophes monumentales.

                                           


On ne morcelle pas un contrôleur comme on veut. Surtout s’il est associé à une petite mafia locale. Une Cosa Nostra de pacotille, constituée de minables dont le quotient intellectuel est inversement proportionnel à leur cruauté et leurs poings. Ce sont des champions olympiques toutes catégories.

                                         


Un dessin plein de bonne humeur, son montage hyper dynamique, son rythme drogué aux stéroïdes, les gueules de ses magouilleurs d’opérette, ses situations qui débouchent toujours sur des fiascos pires que les précédentes et ses dialogues jouissifs au son du cinéma populaire d’antan, Debuhme propose une comédie noire sans prétention. Une franche rigolade et une déconnade assumée qui fait du bien.

                                           


Debhume ne réinvente ni la bande dessinée, ni le polar. Mais bon Dieu qu’on s’y amuse. Il respecte avec un enthousiasme communicatif les codes qu’il connaît par cœur et qu’il maîtrise avec un plaisir fou. Avec le même plaisir que je retrouvais chez Lautner, Tillieux et Audiard, quand ils plongeaient avec délice dans l’univers «polaresque.»

Oui je me suis diverti dans cette histoire complètement délirante. J’ai ri bruyamment tout au long de l’album. Je me suis même mis à espérer une autre aventure de Lou la sanguinaire et d’Aldo le truand au bon cœur.

                                        


Ce n’est un secret pour personne, j’adore les polars français pleins d’humour d’une autre époque. J’aime leur narration, leur rythme, leurs intrigues discrètes, presque banales, loin de la flamboyance tonitruante des Américaines, leur vision à hauteur d’homme des milieux populaires. J’aime leur langue colorée, vivante et poétique au parfum d’une France insaisissable et indomptable. Ils m’ont nourri tout au long de mon enfance et de mon adolescence quand je les découvrais et que je me prenais d’affection pour la musicalité des mots de Tillieux, de Malet et d’Auguste Le Breton.

Alors pour un nostalgique incurable comme moi une bédé comme Le goût de sang, aux mélodies réconfortantes de mes lectures d’adolescence, ne pouvait être qu’un gros coup de cœur.

Le genre de coup de cœur qui fait fuir la tristesse d’un automne qui prend toute la place.

Debuhme, Le goût du sang, Le Lombard.

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