T’Zée : le léopard s’endort ce soir

 



                                                              


Par Robert Laplante



T’Zée, est un dictateur. Presque de droit divin, d’un pays d’Afrique situé dans la forêt équatoriale. Coiffé, de son éternel couvre-chef à la Mobutu, le vieux léopard, comme il aime se surnommer, mène d’une main de fer sa nation. Avec une recette mille fois éprouvée : généreuses récompenses pour ses amis et alliés, justice expéditive pour ses ennemis et pauvreté totale pour le reste de la population, il se croit invincible.

T’Zéé est immortel. Dans le cœur de la forêt luxuriante naît une rumeur qui s’amplifie : le vieux dictateur est mort! Il aurait été tué par des mouvements rebelles alors qu’il tentait de remettre de l’ordre dans son pays en train de sombrer dans le chaos.

Terrée dans le palais présidentiel, Bobbi la jeune épouse du dictateur, Hippolyte son fils et ses derniers amis, profiteurs du régime corrompu, tente de sauver leur peau. Mais tant que son dernier rugissement n’a pas été entendu, peut-on vraiment dire que le léopard est mort.

Nouvelle collaboration de Brüno et d’Appollo, après Biotope

                                                      


et Commando Colonial, 

                                                        


T’Zée une tragédie africaine, nous plonge au cœur de l’Afrique gangrenée par la colonisation, l’ancienne et l’actuelle. Parce qu’il ne faut pas se leurrer, qu’elle soit passée ou présente, qu’elle soit française, anglaise, portugaise, belge, américaine ou chinoise, elle est toujours là. Le maître a changé de nom, de visage et de discours, mais il reste le patron.

T’Zée qui se croyait éternel et tout puissant s’aperçoit que ses amis d’outre-mer qui l’avaient mis et maintenu au pouvoir avec leurs promesses de financement sans fin sont prêts à l’abandonner pour parier sur un nouveau cheval, même s’il est dans le camp rebelle. Après tout l’important pour ces nations «bienfaitrices» n’est-il pas de protéger leurs intérêts?

                                                 


Je suis un grand admirateur de Brüno. J’ai toujours aimé ses bandes dessinées. Mais il y a un plus dans cette calamité africaine. Jamais je ne l’ai senti aussi à l’aise. Sous sa plume, la descente aux enfers de ce petit théâtre de l’absurdité humaine. Une catastrophe grecque, peuplée de pathétiques pantins qui se conçoivent plus majeurs qu’ils ne le sont vraiment, de dirigeants d’opérettes qui à force d’être entourées d’opportunistes flagorneurs finissent par s’imaginer infaillibles et invulnérables, de pitoyables maîtres de rien-du-tout enfermés dans leur tour d’ivoire qui se voient être le centre de l’univers. Une tragédie grecque qui parle de la chute d’hommes ridicules qui se pensaient géants alors qu’ils n’étaient que nains.

Si Brüno est aussi à l’aise, c’est parce que le scénario d’Appollo, dont j’ai toujours affectionné l’humour noir, le réalisme cynique et la lucidité pessimiste, met en place l’univers parfait pour son magnifique trait. Le scénariste échafaude un opéra en 5 actes qui sent la sueur, la peur, l’angoisse, la mort qui veille et l’humidité suffocante de la forêt équatoriale africaine. Une lamentable comédie humaine sans gagnant, où la vérité fait mal, le mensonge est roi et la vie beaucoup moins importante que l’argent.

Les deux bédéistes proposent une belle réflexion sur la politique, sur l’Afrique et un instantané évocateur sur la mort d’un vieux Léopard, les derniers instants de sa portée et sur le chaos d’une société qui implose sous le regard indifférent des autres.

Appollo, Brüno, T’Zée, une tragédie africaine. Dargaud.

Commentaires

Messages les plus consultés de ce blogue

Les bandes dessinées de l’année 2023

Du grand Ken Follett

Les coups de coeur de l’année 2023