Nous les Selk’nam : le retour des expulsés de l’histoire.

                                                                  


Par Robert Laplante

Les Selk’nam étaient les habitants de la Terre de Feu. Étaient, parce qu’ils se sont éteints vers le milieu du XXe siècle, victimes du développement et de l’avidité des blancs qui reluquaient leurs terres. Mais bien avant leur disparition physique, les Selk’nam étaient déjà presque totalement évacués de l’histoire officielle. Tout au plus quelques lignes dans les bouquins. Quelques lignes sans doute influencées par ce que Charles Darwin avait dit d’eux. Le célèbre naturaliste anglais les avait décrits comme le degré de l’évolution le plus bas, le plus proche de l’homme préhistorique. Mais Darwin se fourvoya totalement, puisque la société Selk’nam était beaucoup plus évoluée.

                                      


Carlos Reyes et Rodriguo Elgueta se sont penchés dans une intéressante BD reportage, à leur histoire, leur organisation sociale, leurs mythes, ainsi qu’à leur tragique destin, et à ce qu’il en reste aujourd’hui. Histoire de leur permettre de retrouver leur place dans l’humanité.

                                                 


Après nous avoir proposé il y a quelques années, un roman graphique sur les années Allende, le tandem continue d’explorer la société chilienne sous toutes ses coutures. Mais cette fois ils restituent les voix à peine perceptibles, d’un peuple oublié et sacrifié sur l’autel du développement économique.

                                              


Le résultat est une bande dessinée costaude, mais essentielle malgré ses légers parfums de rousseauiste et de nostalgie du paradis perdu. Un regard impitoyable sur le côté sombre de la construction du Chili et sur ses victimes autochtones. Une BD d’autant plus éclairante, qu’elle trouve des échos chez nous puisque certaines des solutions adoptées par Santiago et par ceux qui souhaitaient s’approprier leurs terres et accessoirement les civiliser ont des parfums de nos propres politiques. Vous savez celles qui voulaient tuer l’indien dans le cœur de l’enfant.

                                        






Grâce à un habile montage d’entrevues, qui nous permettent de mieux saisir la richesse de ces habitants du bout du monde, le tandem révèle le tragique destin d’une nation expulsée de nos mémoires.

Si la bédé est fascinante, elle ne se lit pas pour autant d’un coup. Au contraire, on doit prendre tout son temps pour la lire. Pour bien assimiler sa matière. Pour bien comprendre les liens avec la société chilienne actuelle. Pour apprivoiser sa charge émotive. Les pages sur leur participation aux zoos humains, ces spectacles douteux qui ont parcouru l’Europe jadis, sont particulièrement révoltantes. Enfermés dans des cages, comme des animaux exotiques, exploités par des promoteurs véreux, ils sont exhibés de capitale en capitale pour le plaisir malsain des spectateurs des nations occidentales dites civilisées. Exactement comme les monstres humains des forains de jadis.

Si on peut faire un reproche à la BD, c’est peut-être le format de l’album français. Il ne met pas assez en valeur le trait d’Elgueta riche en détails. Avec de plus grandes cases, son graphisme précis et réaliste, qui étouffent un peu dans ce format, nous aurions une respiration émotive nécessaire à la gravité des propos.

Mais ce n’est pas bien grave, puisque la bande dessinée bouleversante met en lumière une dramatique disparition que nous devrions tous connaître.

Carlos Reyes, Rodrigo Elgueta, Nous les Selk’nams, Edition Ilatina

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