Une romance anglaise : Du rififi dans la perfide Albion.

                                                                          


Par Robert Laplante

1963, un tremblement de terre politique secoue l’Angleterre. Le secrétaire d’État à la Guerre, un homme tout ce qu’il y a de plus honorable, John Profumo, démissionne.


                                                      


 Sa relation hors mariage avec la danseuse et mannequin de 19 ans Christine Keeler a été rendue publique par la presse à scandale britannique. De quoi mettre dans l’embarras le gouvernement conservateur d’Harold Macmillan.

Pire, Christine Keeler entretenait au même moment une idylle avec l’attaché naval soviétique à l’ambassade de l’URSS à Londres Evgueni Ivanov. Et comme nous sommes en pleine Guerre froide et qu’Ivanov est membre du GRU, le service de renseignement militaire de l’armée soviétique, on peut imaginer le pire. Après tout en pleine Guerre froide, tout est possible.

D’autant plus que le pays d’Elisabeth II a été fortement ébranlé par plusieurs révélations sur les espions soviétiques infiltrés en son sein. On pense aux cinq de Cambridge, ces cinq membres de l’élite anglaise qui avaient fliqué pendant des années l’Angleterre pour le compte de l’URSS. On songe aussi au démantèlement du réseau de Portland, à l’arrestation de l’agent double George Blake, tous les deux en 1961, et à celle de John Vassal, employé de l’Amirauté, en 1962. Bref tout était en place pour que les parfums sulfureux d’un possible scandale deviennent une question de sécurité nationale.

Et dans une Angleterre reconnue pour sa presse à sensation et ses journalistes pugnaces et prêts à tout pour une primeur, le sujet est trop nauséabond pour ne pas l’exploiter au maximum. Ce qu’elle a fait.

Traumatisme pour l’Angleterre. L’affaire Profumo a fait l’objet d’un film de Michael Caton-Jones, Scandals, d’une comédie musicale, Stephen Ward, signée Andrew Lloyd Webber, Don Black et Christopher Hampton et d’une série télé, The Trial of Christine Keeler, inédite dans les pays francophones.

                                              


C’est maintenant au tour de la bande dessinée de s’y intéresser avec Une romance anglaise, fruit d’une nouvelle collaboration de Jean-Luc Fromental et de Myles Hyman. Oui, oui Fromental et Hyman, le même duo qui nous avait donné l’exceptionnelle BD Le coup de Prague en 2017. Une histoire soufflante sur les coulisses de l’écriture par Graham Green de son fabuleux Troisième homme mis en image avec brio par Carrol Reed

On ne pouvait pas rêver d’un meilleur tandem pour raconter cette histoire d’espionnage dans une Angleterre conservatrice, paranoïaque. Une Angleterre au vernis qui s’écaille devant une jeunesse, celle des Swinging London, qui réclame plus de place pour respirer et un Nouveau Monde pour y vivre.

Parce que oui c’est cette courte période où une société se meurt et une autre, totalement différente, tente de s’affirmer qui est merveilleusement bien campée dans cette bande dessinée intelligente, subtile, fine, élégante et réjouissante.

Avec une romance anglaise, Hyman et Fromental donnent la parole au docteur Stephen Ward. 

                                                  


Ostéopathe très prisé de la haute institution anglaise doublé d’un libertin mondain, Ward rêve de devenir le pygmalion de Christine Keeler. Sans s’en apercevoir, il met les pieds dans une infernale machine composée d’intrigues, de secrets d’alcôve, de trahisons et de sombres machinations politiques. Un piège dont il fera les frais.

Triste fin de vie pour celui dont le témoignage ne sera jamais entendu. Triste fin de vie pour celui qui fut le seul poursuivi par l’implacable justice de Sa Majesté pour avoir vécu des gains de la prostitution et avoir incité des mineurs à se commettre. Et les accusations d’espionnage? Enterrées. La sécurité nationale à des raisons que la motivation ignore. Triste fin de vie pour Stephen Ward qu’on retrouva mort chez lui au moment où le verdict allait tomber. Un suicide ou une mort assistée, gracieuseté du MI5?

Je ne vous en dis pas plus. À vous de lire la palpitante bande dessinée. Mais dites-vous qu’une bonne bande dessinée politique doit toujours avoir les doux arômes de la conspiration des hommes de l’ombre. En la matière Fromental et Hyman sont des maîtres parfumeurs.

Bande dessinée scotchant : Une romance anglaise se lit comme un roman de John Le Carré ou une bédé de Floc`h et Rivière ou de Jacobs. Des auteurs qui manifestement ont inspiré le scénario de Fromental et l’atmosphère très british, pleine de non-dits et de sous-entendus qu’ils mettent en place.

J’ai déjà hâte à leur prochaine collaboration. En espérant qu’il y en aura une nouvelle.

Hyman. Fromental, Une romance anglaise. Dupuis

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