La fabrique des héros : 100 ans de plaisir.

                                                                 


Par Robert Laplante

La première bédé qu’on m’a donnée, c’était Les Schtroumpfs noirs, un peu avant celle de Martin le malin. La première que je me suis achetée, ce fut Câline et Calebasse, à moins que ça ne soit Deux histoires de gorilles ou Sur la piste des Dalton. Je n’en suis plus certain, mais c’était du Dupuis.

                                                            


Je me rappelle aussi des numéros du beau journal de Spirou que ma mère m’apportait chaque semaine. Elle faisait le ménage chez une famille bourgeoise d’Outremont et chaque semaine, elle me ramenait le numéro que les enfants de sa patronne venaient de lire. Des numéros que j’ai dévorés, jusqu’au moment où quelqu’un les a jetés aux ordures sans me le dire. Une des grandes déceptions de ma jeunesse.

À cette époque, le nom de Dupuis était synonyme de qualité. Tout ce qu’il publiait devenait presque une sainte relique. Parce que son nom était sur la couverture. En vieillissant, j’ai délaissé Spirou et ses héros au profit de ceux de Pilote, de Fluide Glacial, de Métal Hurlant, de Vécu et d’À suivre. Malgré l’évolution de mes goûts et les années qui sont passées, Spirou et Dupuis occupent une place à part dans mon cœur. Celle d’un merveilleux copain d’enfance, le meilleur même, avec qui j’ai rigolé, rêvé, eu peur, passé de beaux moments et appris énormément.

C’est donc un enthousiasmant retour en enfance — quand je passais des heures à regarder tous les titres que l’éditeur carolorégien publiait en espérant pouvoir les lire. Ils étaient présentés dans les dernières pages des albums à couverture souple — que m’ont proposé José-Louis Bocquet et Serge Honorez dans ce très beau La fabrique des héros, 100 ans d’édition chez Dupuis, un sympathique incontournable et un véritable voyage dans les balbutiements d’une passion qui me nourrit depuis.

                                              


Livre-catalogue de l’exposition consacrée à la vénérable maison d’édition centenaire organisée par la ville de Charleroi La fabrique des héros est le genre de livre qu’on met sur sa table à café pour le potasser régulièrement, pour s’imprégner des parfums d’un mythique éditeur qui a toujours su se métamorphoser sans ne jamais trahir ses grandes caractéristiques.

Des bouquins sur Spirou, ses personnages et ses créateurs j’en ai lu beaucoup, tout aussi passionnant les uns que les autres. Mais c’était mal connaître José-Louis Bocquet et Serge Honoriez. Parce que ces diables d’hommes ont réussi à me surprendre avec leurs judicieuses informations, leurs savoureuses anecdotes et leur regard sur des facettes de la bande dessinée dont on parle peu comme la création des fameux recueils Spirou, la censure, la propriété des personnages et les contrats liant les auteurs à la maison d’édition. Mais pas les légendaires contrats d’Aimé De Mesmaeker bien sûr… quoique.


                                   


Il ne faut pas oublier les enrichissants liens qu’ils tissent entre la BD et l’évolution de la société et de la culture franco-belge. Et que dire de ces sympathiques petits clins d’œil à des époques aujourd’hui disparues qui ont titillé une de mes cordes sensibles nostalgiques. Impossible de ne pas céder aux charmes de la section consacrée la Mansarde, ce bar situé dans le grenier d’un cinéma de Charleroi. Un endroit où se rassemblait toute la jeunesse carolo, du moins celle qui voulait secouer les puces d’une société poussiéreuse et sclérosée. Parmi les habitués du bar, on y retrouvait : le presque beatnik Yvan Delporte, Maurice Rosy et une jeune Française qui deviendra une icône de la chanson francophone : Barbara.

                                              


Mais attention, on ne parle pas que du glorieux passé. Les deux auteurs ne se sont pas enfermés dans les brumes du temps. Au contraire, ils discutent à satiété du présent. Ils l’abordent avec intelligence en l’intégrant dans un continuum factuel, en le recontextualisant et en rappelant qu’il est non seulement pétri de cette histoire, mais qu’il est aussi le digne héritier de cette tradition mise en place par des générations d’artisans.

L’écriture enjouée des deux auteurs, leur plaisir communicatif à nous jaser de ce destin hors du commun et leur choix d’anecdotes évocatrices m’ont donné le sentiment qu’ils me parlaient directement, qu’ils me racontaient les yeux malicieux, le sourire fendu jusqu’aux oreilles et la voix pleine de passion de cette fascinante histoire. Comme s’ils étaient redevenus des gamins impressionnés par une trop incroyable aventure qu’ils aient connu et vécu. Mais dont ils maintiennent un petit côté critique.

La fabrique des héros est une véritable mine d’or. Et ce livre n’est pas une anarque. Une bible qui garde constamment notre intérêt. Même, quand il aborde des pans de l’histoire que je connaissais déjà, et quelques fois même par cœur. À vrai dire, je les ai même relus avec l’équivalente fascination qu’autrefois.

Je connaissais déjà les Feel-Good Movies, ces films réconfortants qui nous font du bien, toutefois j’ignorais l’existence des «Feel-Good bouquin.» La fabrique des héros en est un. Il est tellement rassurant que j’ai envie de prendre l’avion pour aller voir l’exposition à Charleroi. Mais il faut que je me dépêche puisqu’elle se termine en juillet.

Pourquoi pas?


                                              


José-Louis Bocquet, Serge Honorez, La fabrique des héros, 100 ans d’éditions chez Dupuis, Dupuis.

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