L’agent double : Le miroir aux alouettes.

 

                                                          

Par Robert Laplante

Cette critique a été publié précédemment sur le site de la Librairie Z.

C’est toujours intéressant de voir des bédéistes établis quitter leur univers respectif pour collaborer le temps d’un album ou de quelques-uns. C’est toujours intéressant de voir la façon dont ils s’y prennent pour fusionner leur style sans pourtant ne jamais le trahir. Nous sommes en présence d’un résultat qui a de la gueule avec : L’agent double, une bande dessinée née de la rencontre de VoRo et de Lapierre.

Jasmin ne va pas très bien. Sa santé mentale n’est pas au top. Il s’isole de plus en plus, ne prend plus ses médicaments, consulte au petit bonheur son psy et s’enfonce ipso facto dans son monde parallèle. Préoccupé de la disparition soudaine de son frère, Jasmin se met dans la tête qu’on l’a assassiné. Il décide donc d’enquêter pour dénicher son tueur. Malheureusement pour lui, son frère, sa belle-sœur et son psy, l’enquête se transforme rapidement en un tragique cauchemar. De ceux qui font la une des médias.

Si le scénario de VoRo, n’est pas nouveau, même s’il trouve d’inquiétants échos dans l’actualité des derniers mois, la construction du récit, elle, est plutôt audacieuse. Les deux auteurs ont décidé de proposer, chacun, leur vision de la descente aux enfers de Jasmin. Sur les pages impaires, VoRo nous raconte l’existence, alors que Lapierre consacre les feuilles paires à la perception que Jasmin a de la réalité. Deux récits qui se répondent et qui se complètent.

Un pari un peu casse-gueule qui m’a fait penser, mais avec des bémols, au fabuleux roman d’Éric-Emmanuel Schmitt, La part de l’autre.

                                                                 

Dans cette biographie uchronique d’Adolf Hitler, l’écrivain mettait en parallèle le parcours historique du Führer et celui qu’il aurait pu emprunter s’il avait été accepté à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne. Qui sait il serait peut-être devenu un peintre respecté loin de ce dictateur sanguinaire, craint et détesté de tous .

Mais ici s’arrête toute comparaison. Parce que nous ne sommes pas dans une uchronie, mais plutôt dans une chute vers les sombres profondeurs abyssales de la psyché humaine,

je vois, vous posez des questions sur l’efficacité du récit. Il est vrai qu’une pareille mise en scène peut facilement perdre le lecteur qui valse constamment entre deux styles et deux réalités. Comme il est vrai que les auteurs peuvent s’essouffler dans cette valse entre deux visions. Mais ce n’est pas le cas dans L’agent double. Jamais, ils ne tombent dans ces pièges narratifs. Au contraire, ils adoptent une ligne directrice qui empêche en partie la confusion et la dispersion. En partie parce que si la stratégie passe très bien la rampe de la copie physique, elle est moins évidente dans la version numérique qui demande une lecture plus attentive,

Pour réussir à contourner ces obstacles potentiels, les deux auteurs ont épousé certains éléments communs, comme les physionomies des personnages et des lieux, qui permettent de se promener d’un univers à l’autre.

Ils utilisent le même nombre et les mêmes dimensions de cases d’une page à l’autre sans ne jamais trahir leur style ou détruire l’harmonie entre eux. Par la suite, le découpage, à mesure que le drame se joue devant nous, devient plus personnel, plus libre et plus proche de leur personnalité graphique. Et comme on a déjà été séduit, l’œil et le cerveau ne s’attardent plus aux différences.

Si au début on est un peu déstabilisé par la construction du récit, rapidement après quelques extraits, on s’y sent à l’aise. Assez à l’aise pour adopter la version qui nous semble la plus plausible et ça c’est franchement inspirant.

Une belle expérience bédé qui trouve une résonance encore plus pertinente dans un présent aussi troublé.

VoRo, Lapierre, L’agent Double, Paquet.