Le monde de Sophie : Heureux qui comme Robert découvre la philosophie

 

                                                                    


Par Robert Laplante

J’aime beaucoup les bédés qui parlent de philosophie. Celles qui nous initient aux concepts philosophiques. Peut-être parce que je n’ai rien compris aux enseignements prodigués par mes profs de philosophie au CÉGEP. C’est bien possible. Lorsque ces notions sont abordées dans les petits Mickeys, elles me semblent tellement plus claires que les propos de mes anciens enseignants.

Plus j’en lis, plus j’aime ce qu’elles m’apportent. Et ce n’est pas Le monde de Sophie qui va contredire cette impression.

Avant d’être une excellente BD, Le monde de Sophie a été un roman philosophique du professeur de philosophie et d’histoire des idées de l’université de Bergen et romancier norvégien Jostein Gaarder. Publié dans sa version originale en 1991, le roman, traduit en 54 langues, est un ouvrage à succès. Le genre de livre que tous les chroniqueurs culturels se vantaient d’avoir lu ou d’avoir dans leur pile de livres.

                                                  


C’est peut-être pour cela qu’à l’époque je ne l’avais pas lu. Je suis rébarbatif à ces modes. Surtout quand ces recommandations viennent de ces fameux touche-à-tout civilisationnels autoproclamés, capables dans un même souffle de passer d’un film, à une BD en passant par un CD, une exposition, une pièce de théâtre et tutti quanti. Facile me direz-vous, puisque pour eux «tout est absolument géniaaaaaaaaaal.»

Dans le cas du Monde de Sophie il reste, et ça m’enrage de le reconnaître, qu’ils avaient raison et que je m’étais fourvoyé lamentablement. C’est ma conclusion à la lueur de l’intéressante adaptation dessinée de Nicoby et Vincent Zarbus. Un chef-d’œuvre peut-être pas, mais une bande dessinée diablement passionnante qui m’a éclairé sur beaucoup de notions que je croyais de ne pas avoir compris au CÉGEP.

Sophie Amundsen est une jeune adolescente de quatorze ans sensible à la protection de l’environnement. Un jour elle trouve chez elle deux enveloppes qui lui sont adressées. Chacune contient une question. Dans la première «qui es-tu?» Dans la seconde «d’où viens-tu?» Le genre de questions insolubles qu’on ne veut absolument pas se poser, de peur de se retrouver en un rien de temps dans une quête autant philosophique qu’identitaire qui risque de nous faire emprunter des sentiers tortueux.

Mais qui a déposé ces deux enveloppes mystérieuses? Et si ces deux petites questions de rien du tout pouvaient servir de moteur à une fabuleuse leçon sur l’histoire de la philosophie, ses courants et ses visions du monde. Avec l’aide de son étrange correspondant anonyme qui l’abreuve de questions existentielles, Sophie s’initie peu à la grande histoire de la philosophie occidentale.

Tout un programme n’est-ce pas! Mais curieusement tout passe très bien. Les auteurs réussissent dès le début à nous inclure dans la quête de Sophie. Comme si nous avions, nous aussi, reçu ces deux petites questions aux conséquences insoupçonnées.

Nicoby et Zabus nous proposent une bande dessinée de vulgarisation de grande qualité, pleine de notions philosophiques et historiques, de rythme, de tensions dramatiques et d’humour. Une brique touffue et dense de 260 pages qui se lit d’une traite comme si on avait entre les mains un haletant thriller.

Pourtant la commande n’était pas des plus faciles. Comment rendre captivante la philosophie? Comment lui faire quitter les tours vitrées des universités pour la ramener dans la rue? Comment la rendre accessible à tous? Comment montrer que : Platon, de Diogène, Saint-Augustin sont toujours aussi pertinent?

Le défi semblait presque impossible à relever. Pourtant, ils l’ont réussi avec cette belle vulgarisation qui jamais ne dénature, ne simplifie, n’édulcore les concepts ou les noient dans les codes de la narration «bédéesque.»

Au contraire, l’équilibre entre les notions philosophiques et historiques et le dynamisme narratif est parfait. Nous ne sommes pas ici dans une bédé historique du style Les Belles Histoires de l’Oncle Paul, ou dans un schéma didactique un peu trop scolaire. Nous sommes dans une bédé, pleine de vie, de musique, de couleurs, d’émotions. Une quête réjouissante qui me donne envie de replonger dans les textes philosophiques de mes années collégiales.

                                                   


Si en plus, nous relisons en parallèle l’adaptation bd de Sapiens d’Harari, Vandermeulen et Casanave ainsi que les tomes de Philocomix de Thivert, Vermer et Combeaud alors, il est certain que nous ressortons du Monde de Sophie pleinement satisfait.

J’ai déjà hâte au deuxième tome. Et qui sait, peut-être qu’un jour, ils vont aussi s’intéresser aux philosophies non occidentales. Quand on a un merveilleux outil de vulgarisation comme la BD, il faut en profiter. .

Nicoby, Vicent Zabus, d’après le roman de Jostein Gaarder, Le monde de Sophie, tome 1 la philo, de Socrate à Galilée. Albin Michel

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