Adieu Aaricia : Le chant du cygne d’un Viking

 

                                                          


Par Robert Laplante

Oh là là, le vilain tour que m’a joué Thorgal. Moi qui le croyais mort et enterré, disons sous la pile de ses derniers albums douteux, voilai que ce diable de Viking revient en force avec une foule de nouvelles histoires fascinantes à raconter. De quoi me redonner envie de le fréquenter. Et ce revirement de situation c’est la faute à Robin Recht et à son Adieu Aaricia, premier tome de Thorgal Saga. Un album qui pour l’instant se retrouve dans mon top 10 de l’année.

Thorgal Saga est une nouvelle série consacrée au plus célèbre homme du nord de la bande dessinée, après Hagar the Horrible de Dik Browne et Hultrason de Vick et Remacle bien sûr. Non, non, c’est une plaisanterie, personne ne se souvient de cette série secondaire du créateur du vieux Nick et de Barbe-Noire. Ou alors si c’est le cas, c’est que, tout comme moi, ils commencent à prendre de la bouteille.

                                            

Alors on rembobine. Thorgal Saga est plus qu’une nouvelle série. Un hommage où différents bédéistes vont proposer leur vision de son univers.

                                  


Pour ouvrir la série, Le Lombard a eu la brillante idée de penser à Robin Recht. Bédéiste aussi à l’aise dans la fantasy que dans le thriller historico-ésotérique, ainsi que le roman graphique ancré dans le quotidien.

Comme tome d’ouverture, le mythique éditeur de l’avenue Paul-Henri Spaak ne pouvait rêver mieux. Adieu Aaricia est une fabuleuse aventure, où Thorgal maintenant vieillard, doit sauver son Aaricia captive des Baalds qui veulent la sacrifier dans un rite religieux.

Le hic, l’Aaricia n’est plus celle qu’il aime depuis toujours. Non en fait, c’est une jeune Aaricia, bien jeune même. Elle habite encore avec son père l’ombrageux roi des Vikings du Nord. Gandalf le fou qui avait essayé de l’assassiner quand il était encore un impérieux jeune adolescent.

                                           


Nidhogg, le serpent diabolique, profitant du désespoir d’un Thorgal meurtri par la mort de son Aaricia, lui confie l’ouroboros. Un anneau forgé par le reptile qui permet de voyager dans le temps.

Ne résistant pas à la tentation de retrouver l’amour de sa vie, Thorgal l’utilise. Mais Nidhogg est perfide. Autant que son anneau qui le transporte dans un passé modifié où plus rien n’est pareil, où tout ce qu’il a vécu n’existe plus. Une réalité alternative qui risque de nuire à la destinée de son alter ego plus jeune.

                                              


Véritable coup de poing, Adieu Aaricia est une grande bédé, pleine de surprises, de fureur et de sang. Comme à son habitude, le dessin de Recht est puissant, en parfaite harmonie avec ce monde où la vieillesse est synonyme de faiblesse, presque de mort.

Sa mise en scène très aérée lui permet de mettre en place un univers graphique empreint d’inquiétude, de peur et d’angoisse amplifiée par d’écrasants décors plus grands que nature. Comme si les hommes du nord n’étaient en fait que des fourmis dans un théâtre fait sur mesure pour les Dieux et les guerriers hors du commun sur le point de devenir des mythes.

Une atmosphère anxiogène qui doit beaucoup aux fabuleuses couleurs de Georges Gaétan qui viennent teinter l’album des notes dramatiques essentielles au climat aussi oppressant que désespéré. Même si je soupçonne que la BD de Recht est encore plus forte en noir et blanc.

Si le bédéiste a toujours eu l’habitude de nous impressionner graphiquement, il le fait aussi, cette fois avec sa palette de scénariste. Sa narration est tellement intéressante, réussie et mature qu’on se demande pourquoi il a entendu aussi longtemps avant de raconter ses propres histoires.

Recht propose un scénario solide, plein de rebondissements, qui m’a scotché sur ma chaise. Un scénario plein de rythme qui propose un Thorgal vieillissant, encore courageux, mais physiquement moins alerte. Brisé de l’intérieur par le décès de l’amour de sa vie, qui tente avec l’énergie du désespoir de la sauver. Thorgal impuissant, incapable d’empêcher la catastrophe qui se déroule sous ses yeux

Les dernières pages, où on voit ce vieillard résigné, détruit par son retour dans le passé et par l’avenir parallèle qu’il vient de créer, emmuré dans sa peine. Condamné à errer seul jusqu’à sa mort, elles sont absolument magnifiques de tristesse. Elles me sont restées longtemps dans la tête, bien après que j’ai tourné la dernière page.

Je ne sais pas ce qui va arriver avec la suite de Thorgal Saga. Par contre c’est que cet Adieu à Aaricia compte parmi mes plus beaux moments de lecture des dernières années.

Quel beau retour en force pour le Viking. Et même si le reste de la série ne tient pas la route, elle vaudra quand même la peine d’être lue à cause d’Adieu Aaricia.


Robin Recht, d’après les personnages de Van Hamme et Rosiński, Adieu Aaricia, Le Lombard.

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