Centralia : L’or des damnés.

 

                                                          


Par Robert Laplante

Quel étrange destin que celui de la ville de Centralia, petite municipalité anonyme de la Pennsylvanie. Pas tant que cela, puisqu’elle est mondialement connue depuis 1962. Pourquoi? Tout simplement parce qu’elle brûle depuis cette année-là. Depuis qu’un feu s’est déclenché accidentellement dans la mine de charbon sur laquelle elle a été construite.

Ville presque fantôme, elle accueille encore une poignée d’irréductibles qui tentent tant bien que mal de survivre. Tout un exploit quand on sait qu’il y fait tellement chaud qu’on peut faire fondre du verre sur le sol et que les gaz toxiques qui s’échappent de la mine rendent presque impossible toute vie. Un décor qui n’est peut-être pas joyeux, mais qui est parfait pour une bande dessinée au parfum d’apocalypse environnementale.

En tout cas, Miel Vandepitte, lui, s’est senti inspiré par elle. Il en a même fait le décor de sa toute première bande dessinée Centralia publiée chez Albin Michel. Une première oeuvre inégale qui n’est pas dénuée d’intérêt.

Centralia n’a pas que ce problème du feu. Elle est aussi occupée par une troupe de cruels envahisseurs, les Nasiques, qui veulent la détruire. Ce qui complique la vie de ses quelques rares habitants, des mutants victimes des vapeurs toxiques dégagées par le brasier.

Et comme si ce n’était pas assez, elle abrite en plus un fabuleux trésor. De ceux pour qui on serait prêt à braver tous les dangers pour le découvrir et se l’approprier. C’est exactement ce que fait Lonca et son groupe, un étrange amalgame d’individus dépareillés. Ils devront résister à la température étouffante, aux vapeurs toxiques, aux agressifs Nasiques et à tous les autres dangers qu’un tel milieu peut cacher en son sein.

Sur papier, la proposition est très séduisante. Il y a un potentiel absolument fabuleux dans cette histoire. Un terrain de jeu exceptionnel pour un bédéiste aguerri. Une occasion parfaite pour une histoire puissante aux personnages forts et hors norme. Un Hermann par exemple aurait été particulièrement à l’aise dans les rues de Centralia. Je n’ose imaginer ce que la bande dessinée aurait pu être avec sa plume émotive et sa narration aiguisée.

Si la proposition est séduisante, le résultat l’est un peu moins. Vandepitte n’est peut-être pas, pour l’instant du moins, le meilleur pour relever le défi.

Le bédéiste semble légèrement perdu dans cette étrange ville. Il y a une absence d’assurance autant scénaristiquement que graphiquement. Comme s’il n’était pas encore assez mature pour bien traduire toute la folie, la sauvagerie et la violence de son univers.

Pourtant on sent dans son dessin, même s’il est un peu inégal, et dans sa narration, un talent certain. Il omet ce petit quelque chose qui nous impressionnerait, qui nous donnerait envie de lire la BD d’un coup.

Il manquait des éléments essentiels pour mieux la comprendre et la goûter. On aborde peu, par exemple, les causes de la guerre avec les Nasiques. Tout comme on saisit difficilement pourquoi ces derniers détestent autant la ville. Peut-être que quelques pages, au tout début de la bédé, sur son histoire avant le terrible incendie, auraient été une bonne idée.

S’il fait l’impasse sur des indications fondamentales pour bien appréhender la ville, ce n’est guère mieux du côté de la psychologie et des motivations de Lonca et de ses compagnons. Leurs personnalités sont à peine esquissées, comme s’ils n’étaient que des faire-valoir, des marionnettes sans vie et anonymes qui un jour ont décidé de s’unir pour aller chercher de l’or dans le fond d’un enfer qui brûle perpétuellement.

À moins que ce ne soit le nombre de tomes qui a étouffé son thriller apocalyptique environnemental. Un diptyque lui aurait permis de mieux creuser son scénario, de le laisser respirer un peu plus et de donner aux lecteurs les clés de son univers pour s’y intégrer.

Je crois que Centralia est arrivé trop tôt dans sa carrière. Peut-être qu’avec quelques années derrière la cravate, Vandepitte aurait proposé une histoire plus solide, plus aboutie, mieux développée, à la hauteur des espoirs qu’elle a fait naître chez moi.

Dommage.

Miel Vandepitte, Centralia, Albin Michel

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