Patrice Leconte fait son Tintin

 

                                                         


par Robert Laplante

Il y a des entrevues que l’on croit impossibles tellement les interviewés nous semblent inapprochables. Alors, on demande quand même ces entretiens, sans trop y croire, en se croisant les doigts, espérant qu’elles se concrétisent. Une bouteille à la mer quoi.

Et puis du jour au lendemain, les astres s’alignent. Notre requête est acceptée et on se retrouve devant son ordi à discuter. De quoi se pincer. C’est en plein, ce qui m’est arrivé en cette Journée nationale des patriotes où j’ai pu converser virtuellement avec le cinéaste Patrice Leconte. Leconte qui vient d’écrire : Tintin de A à Z, un sympathique abécédaire publié conjointement par Casterman et les Éditions Moulinsart.


                                             


Patrice Leconte et la bande dessinée? Cela peut surprendre. Le cinéphile québécois, mais, il existe effectivement un lien entre eux. Moi-même, cela me prit plusieurs années avant de faire le rapprochement entre le cinéaste des Spécialistes, un de mes 10 films favoris, et les strips qu’il signait dans les numéros de Pilote des années 70. Strips, dont je me délectais adolescent quand je plongeais avec plaisir dans les recueils de ces vieux Pilote qu’on m’avait donnés.

                                                


«Vous savez, on l’a oublié parce que je n’ai travaillé que 5 ans pour eux, que je n’avais pas de héros récurrent, que je n’avais pas d’albums et que je ne voulais pas y faire carrière. Moi, je souhaitais faire des films. Ce n’était qu’une parenthèse et ce n’est pas important qu’on ne s’en souvienne pas» lance-t-il.

Quand même, une excursion dans le Pilote de la grande époque, ce n’est pas rien. «C’est vrai que c’était euphorique. J’étais avec Goscinny, que tout le monde adorait, Reiser, Bretécher, Goltib, Gébé, Fred, Mandrika, etc. C’était quand même ce qu’on faisait de mieux en bande dessinée.» Mais bon, le cinéma l’a tout de même emporté sur les petits Mickeys.

Ce qui ne veut pas dire qu’il a totalement oublié le 9e art. Au contraire il a continué à l’influencer. On peut penser à son premier film Les vécés étaient fermés de l’intérieur, une adaptation, coscénarisée avec Gotlib, des aventures du commissaire Bougret et de son fidèle adjoint l’inspecteur Charolles, héros de la Rubrique-à-brac.

Ou encore à Houppeland d’après Didier Tronchet. «Tronchet avait eu une idée fabuleuse. Une dictature qui impose une célébration quotidienne de Noël. C’était magnifique. J’ai écrit l’adaptation, on était prêt à le faire puis tout est tombé à l’eau. Comme il arrive souvent dans le cinéma. Vous savez le Maigret que j’ai fait en 2022 était mon 30e film. J’ai réalisé 30 films et il y en a 30 autres qui n’ont pas vu le jour.»

                                    


Ce qui ne veut pas dire qu’on ne peut pas les recycler en bande dessinée comme ce fut le cas pour les Deux passantes dans la nuit. «Je n’aime pas faire du recyclage, mais effectivement, ça devait être un film dont j’avais écrit le scénario avec Jérôme Tonnerre. Comme il n’a pas pu se faire, Jérôme m’a suggéré d’en faire une bande dessinée. Ce que nous avons fait avec la collaboration graphique d’Al Coutelis.»

Entre ceux qui se réalisent et ceux qui se retrouvent aux poubelles, il y a les autres. Ceux qu’on rêve de faire et qui restent longtemps présents dans notre imagination en attendant de se concrétiser, comme Les bijoux de la Castafiore qu’il rêve de faire depuis toujours. «Ça fait longtemps qu’il me trotte en tête. Je vois exactement ce que je veux faire. Mais c’était tellement compliqué avec Paramount, qui détient les droits cinématographiques de tous les Tintin et qui ne fait rien avec, que j’avais fini par faire une croix là-dessus.» Avait, parce que ce n’est plus aussi certain maintenant. «Depuis quelques semaines il y a une embellie et je crois que je vais arriver à le faire. J’en saurais un peu plus à la fin juin, mais disons que l’espoir renaît. »

                                                  


Ce qui serait tout un cadeau pour celui qui aime Tintin depuis toujours. » Je les ai lus, relu à tous les âges de mon enfance et de mon adolescence. Mais pendant une période assez longue, je l’ai délaissé. Alors quand Moulinsart m’a proposé de travailler sur un abécédaire je me les suis procurés à nouveau et j’ai adoré ça. Parce, j’avais l’impression d’être en culotte courte. » Un effet de la réconfortante nostalgie?

Peut-être que oui, mais pas seulement pour ça. « J’ai trouvé que ça tenait encore la route. Tintin à quelque chose d’éternel. Ses aventures n’ont pas pris un gramme de poussière. C’est toujours drôle, toujours inattendu, rajoute le cinéaste qui admire son côté feuilleton. « Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, c’était publié dans le journal de Tintin à raison d’une page par semaine. Au bas de chaque page il fallait qu’il y ait un suspense pour nous donner envie d’être présent, la semaine suivante. Maintenant, on lit ses aventures d’une traite et on a perdu cette notion de suspense hebdomadaire. Hergé a construit toutes ses histoires pour qu’à la fin de chaque page il y ait un suspense » souligne-t-il avec enthousiasme.

                                               


C’est justement cet enthousiasme et sa bonne connaissance de Tintin, même s’il ne se définit pas comme un tintinologue, quel horrible mot, mais plutôt comme un admirateur, qui en faisait la personne rêvée pour écrire ce sympathique bouquin débordant de fantaisies. « Moi j’ai aimé Hergé. Il fait partie de notre patrimoine sentimental. Alors quand les Éditions Moulinsart m’ont contacté et m’ont laissé carte blanche, j’ai tout de suite dit oui. Et je me suis beaucoup amusé. Je l’ai fait à la campagne et dans le désordre. Je partais faire du vélo et j’avais des idées qui venaient et ça s’est fait comme ça. Je voulais écrire un antiouvrage de spécialistes et c’est aussi ce que voulait l’éditeur. À force de le disséquer, on a fini par le déshumaniser. Ce qui est amusant, puisqu’il n’existe pas. On a un rapport affectif avec Tintin et son univers, on n’a pas un rapport intellectuel avec lui. Je n’ai pas voulu faire un livre d’intellectuel, j’ai voulu fait un livre de sentimental uniquement. De sentimental et de plaisantin aussi. »

Parce que plaisantin, Leconte l’est aussi. IL se permet de disséminer ici et là, au gré des 127 pages, d’amusantes fausses pistes au parfum de plausibilité. Comme celle où il affirme que Brassens aurait été inspiré par le gorille de L’Ile noire pour écrire sa fameuse chanson hominoïde. Comme celle où il aborde sa rencontre avec l’écrivain, journaliste et académicien Jean D’Ormesson qui, à l’aube de ses 77 ans, aurait lancé une pétition pour transformer la devise de Tintin de 7 à 77 ans en de 8 à 88 ans. Histoire de pouvoir continuer à le lire. « Je ne l’ai jamais rencontré de ma vie. Tout comme cette amitié entre Hergé et Brassens n’a jamais existé », raconte-t-il avec le petit ton malicieux .

Une bonne blague certes, mais pas aussi excellente que celle sur son Isidore Lagopède, un personnage secondaire qui a eu droit à 5 cases dans les premières pages des Sept boules de cristal. Rappelez-vous celui qui lit le journal par-dessus l’épaule de Tintin et qui lui dit « toute cette histoire finira mal. » « Je me suis amusé à le nommer et à imaginer les spécialistes de Tintin en train de se demander comment son nom avait pu leur échapper », rajoute-t-il avec un plaisir évident.

Cinéaste, dessinateur, romancier, metteur en scène, dramaturge, scénariste et «acébédairiste » même si le mot n’existe pas, le réalisateur du Mari de la coiffeuse et de Ridicule a aussi été héros d’une amusante bande dessinée signée Nicoby et Joub Leconte fait son cinéma. « Je ne comprenais pas ce qu’ils voulaient faire, je ne voyais pas très bien ce que ça allait donner, mais je leur ai fait confiance. Je préfère faire confiance que faire la méfiance. J’ai trouvé l’album extra, marrant, très réaliste et très près de ce à quoi ils ont assisté. J’ai beaucoup aimé. »

                                            


A ce palmarès bien rempli, il faudra maintenant rajouter le parolier puisqu’il est en train de travailler pour la télévision française La jeune fille invisible. Un film musical, dont il a composé 14 chansons avec le légendaire parolier Claude Lemesle. « J’aimerais ça qu’il soit diffusé le 24 décembre en soirée parce que c’est un peu un conte de Noël. »


                                               


En attendant sa diffusion et peut-être le premier tour de manivelle de ses Bijoux de Castafiore, le cinéaste pourra toujours faire comme le regretté Bertrand Tavernier et continuer à lire des bédés. Enfin j’aime à la croire. « Très sincèrement j’en lis très peu. J’ai quelques amis qui m’en envoient. Il y a Tronchet qui dès qu’il fait un album, c’est-à-dire à tous les 10 jours, s’esclaffe-t-il, me le fait parvenir. » Ou encore Blutch un dessinateur qu’il considère comme le plus grand bédéiste actuel. « C’est un génie et un type charmant. Bref je lis ce que mes amis me font parvenir.»

et ses Tintin bien sûr.

Patrice Leconte, Tintin de A à Z, Éditions Moulinsart/Casterman.

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