Serge Honorez : Le chroniqueur des héros

 

                                                                  


par Robert Laplante

Il y a des gens qui sont chanceux, qu’on irait même jusqu’à les envier. Pas vous, bien sûr, mais moi… Hum, je préfère ne pas trop m’avancer.

Prenez comme : Serge Honorez et José-Louis Bocquet. Gamins et adolescents ils adoraient le journal Spirou. Comme des millions d’autres me direz-vous.

Adultes, ils y ont participé activement à titre de bédéistes et de scénaristes. Honorez pour, entre autres, : Germain et nous de Frédéric Janin et Bocquet pour le privé d’Hollywood de Berthet. Ça c’est moins banal, vous en conviendrez.

                                           


Et comme si ce n’était pas assez, ils y ont même joué un rôle fondamental. Honorez comme directeur éditorial et Bocquet comme directeur de la prestigieuse collection Aire Libre et directeur éditorial adjoint. Même s’il faut reconnaître que la direction éditoriale est plus proche de la gestion de talents que de la création BD. Ils y ont laissé quand même leurs empreintes. Quand je vous dis qu’ils sont veinards.

Ils le savent, pas besoin, de leur rappeler. C’est peut-être à cause de cette baraka, qu’ils ont décidé d’écrire : La fabrique de héros, 100 ans d’édition chez Dupuis. Une inspirante monographie qui accompagne et complète l’exposition sur le centenaire de la vénérable maison d’édition qui se déroule présentement à Marcinelle, Charleroi. Une fabuleuse lettre d’amitié envers des personnages de papier plus intéressants et plus vivants que bien des êtres humains.

                                                


«On a eu une veine incroyable. La veine d’avoir grandi avec Spirou et les éditions Dupuis, celle d’avoir travaillé pour eux et par la suite d’en avoir été les tauliers» lance tout de go Serge Honorez conscient d’avoir eu une chance que plusieurs gamins, comme moi, auraient aimé vivre. «Pour nous, ce bouquin c’est un peu comme si on remettait les clés qu’on nous avait confiées pour quelque temps», rajoute-t-il en se remémorant au passage son arrivée dans les bureaux de la mythique maison d’édition. «L’immeuble était situé à 15 kilomètres de chez moi. C’était une grosse maison vermoulue avec des planchers qui grincent et de gros paquets de livres dans tous les coins», renchérit-il avec un soupçon de tendresse dans la voix, les yeux pétillants et le même enthousiasme qu’un Indiana Jones ou un Galaad contemplant le Saint Graal. «C’était notre Graal», acquiesce-t-il. Un Graal plus modeste certes, mais qui leur semblait aussi inaccessible que la coupe sanctifiée qui a recueilli le sang du Christ.

                                                  


Le magazine Spirou, un Graal? Pourquoi pas! Mais Spirou n’est pas que fait de mythes. Il est aussi constitué de réalité et quelques fois départager l’un de l’autre peut être ardu. D’autant plus, que chaque lecteur à sa propre représentation et sa propre histoire d’amour avec le magazine. «Effectivement il a fallu trouver un équilibre. Il a fallu réconcilier le Spirou réel, ancré dans son époque, à celui de notre jeunesse» qu’ils avaient sans doute idéalisé. «Mais il n’y avait pas que ça. Il fallait aussi, et surtout transmettre, dans les pages du bouquin notre plaisir à le lire. C’est pour ça que je préfère le terme conciliation à réconciliation.» Mais que ce soit une réconciliation ou une conciliation, elle s’est réalisée naturellement, tout en douceur.

Normal puisque les deux auteurs n’en étaient pas à leur premier galop ensemble. Ils avaient déjà travaillé sur la version commentée de Bravo les Brothers, une de mes aventures préférées de Spirou. «C’est un bijou! Un bijou dont on parlait peu. Alors on a décidé de le faire en proposant une version commentée» truffée d’analyses pertinentes et d’anecdotes savoureuses.

Ils ont tellement aimé cette méthode qu’ils ont décidé de la reprendre pour la Fabrique de héros. Ils se sont donc partagé les différentes rubriques tout en acceptant avec plaisir que l’autre vienne y mettre son grain de sel. Bocquet enrichissant avec ses commentaires judicieux et ses anecdotes, le travail d’Honorez qui de son côté faisait de même avec celui de Bocquet.

À force de côtoyer la planète BD, ils en ont accumulé des informations et des anecdotes à raconter. «Bien sûr on a rencontré des auteurs et des figures mythiques de Dupuis comme Maurice Rosy qui nous en a appris beaucoup. Mais il ne faut pas oublier qu’on n’a pas qu’œuvré chez Dupuis. Nous avons aussi bossé ailleurs. José-Louis a été par exemple chez les Humanos alors que moi, avant de rejoindre Dupuis, j’ai travaillé sur un documentaire, qui n’a pas vu le jour, sur Le Lombard. Pour ce documentaire j’ai eu accès à des documents intéressants, notamment les correspondances d’Hergé avec ses secrétaires, avec les éditions Dupuis et avec Le Lombard.» Des expériences où ils ont pris des pages et de pages de notes qui ont aussi nourri ce bouquin.

Ouvrage à quatre mains où les style de Bocquet et d’Honorez fusionnent parfaitement — tellement parfaitement que le premier lecteur et collaborateur de longue date Philippe Ghielmetti était incapable d’identifier qui avait rédigé quoi — La fabrique de héros n’est pas qu’une lettre d’amitié avec Spirou. Oh que non, c’est aussi une histoire d’amitié entre les deux auteurs qui se connaissent et s’apprécient depuis toujours.

«En fait on se connaît depuis la grande époque des fanzines à la fin des années 70, quand nous avions 15 ou 16 ans. Moi j’en éditais un en Belgique qui se nommait 1815. José-Louis le distribuait dans des libraires parisiennes spécialisées comme Temps Futurs. Lui en réalisait un aussi, Bizu, que je plaçais dans des librairies bruxelloises. Après il est devenu scénariste bédé chez Dupuis et on s’est retrouvé dans des boîtes qu’on fréquentait. Il est devenu directeur d’Aire Libre 6 mois avant que je ne prenne la direction éditoriale de Dupuis. C’est ce qui a conforté notre amitié. Depuis, on ne s’est plus jamais quitté. C’est toujours un plaisir d’écrire avec José-Louis et ce livre a été fait dans le plaisir.»

On veut bien le croire, parce que du plaisir, il s’en dégage de chaque page. Il y en même tellement que je suis certain que gamin, quand je cherchais à en savoir plus sur mon journal préféré, je l’aurais acheté. Mais je ne suis pas le seul parce que je soupçonne qu’Honorez l’aurait aussi fait. «Il n’y avait pas de livre comme ça quand j’étais jeune, mais je crois que s’il avait existé je l’aurais lu avec plaisir» conclu celui qui depuis a totalement quitté le monde de la bande dessinée pour se consacrer à un autre livre, dont il garde le secret, et à ses tableaux digitaux à la fois filmiques et cinématographiques.

José-Louis Bocquet, Serge Honorez. La fabrique de héros, 100 ans d’édition chez Dupuis, Dupuis.

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