1629 : L’enfer sur mer

 

                                                                


Par Robert Laplante

Enfin, l’été s’en vient. Sous peu, nous aurons : la chaleur, le farniente, les longues promenades romantiques à la campagne, à la montagne ou dans la forêt. Ou encore mieux sur la mer. Histoire de bien profiter du bruit apaisant des vagues… Quoique quand on nous y pensons bien, les passagers du Jakarta, eux, ne l’ont sûrement pas trouvé très relaxante, la mer.

                                                     


28 octobre 1628. Le Jakarta, l’orgueil de la flotte de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, quitte l’île de Texel aux Pays-Bas pour rejoindre Java. La puissante compagnie maritime nomme Francesco Pelsaert au poste de subrécargue. Il est le représentant de la compagnie, l’autorité suprême après Dieu, et elle lui confie le navire, l’équipage, les marchandises ainsi que 300. 000 florin. Une somme très importante pour négocier avec les populations locales et s’attirer les privilèges commerciaux du Grand Moghol.

Assisté d’un adjoint; Jeronimus Cornelisz, un ancien apothicaire ruiné, du capitaine Ariaen Jacobsz et de 320 marins, soldats, officiers, commis de la compagnie et passagers qui désirent s’installer dans la colonie, dont une vingtaine de femmes, Pelsaert à 120 jours pour rejoindre Java. Un délai serré, beaucoup trop, imposé par la compagnie qui refuse de prendre plus de temps. Le temps, c’est de l’argent.

                                               


Coincé par les exigences de son employeur, Pelsaert devient un véritable tyran sur le bateau. Presque autant que : William Bligh le tristement célèbre capitaine du Bounty. Intransigeant avec l’équipage qu’il dirige d’une main de fer et qu’il méprise, le capitaine nourrit une colère qui ne cesse de grandir chez les marins. Il feint d’ignorer, ou qu’il ne prend pas au sérieux. Pourquoi s’occuper du ressentiment de ces marins issus des bas-fonds qui méritent à peine de servir sur les navires de la prestigieuse Compagnie néerlandaise des Indes orientales.

Et qu’arrive-t-il, quand un subrécargue devient un despote, qu’un équipage est sur le point d’exploser, que le voyage est trop long, avec peu d’escales, que les conditions de vie et de travail sont infernales, et qu’il se trouve quelque part sur le navire 300 .000 florin?

                                                 


Vous l’avez bien deviné! Les conjonctures idéales pour que tout parte en vrille sont réunies. Il ne manque qu’une allumette pour enflammer la poudrière. Cette allumette se nommera Jeronimus Cornelisz. L’apothicaire ruiné rêve des 300 000 florins. Chaque jour, il va donc distiller le poison de la mutinerie dans les oreilles des marins qui n’attendent qu’une occasion pour prendre le contrôle du bateau.

Hélas, le plan diabolique de Cornelisz s’écroule quand dans la nuit du 3 au 4 juin 1629, le Jakarta s’échoue sur une barrière de récifs au large de la côte ouest-australienne. Pour sauver leur peau, les occupants du navire débarquent en catastrophe sur l’archipel Houtman Abrolhos, où ils seront victimes d’un des plus horribles massacres connus du XVIIe siècle. Seulement un tiers des passagers et hommes d’équipage survivront à la traversée du Jakarta.

                                                    


Histoire puissante, la tragique odyssée du Jakarta ne pouvait qu’influencer un de mes scénaristes préférés Xavier Dorison, dont j’avais tellement aimé son Long John Silver. Appuyé par le dessin rythmé et nerveux de Timothée Montaigne, Dorison propose le récit d’une insurrection et d’un naufrage aussi épique que celui du Bounty, la plus célèbre mutinerie de l’histoire de la marine anglaise.

À la différence peut-être que Jeronimus Cornelisz était loin d’être un Fletcher Christian et que son altruisme n’était en fait qu’un prétexte pour faire main basse sur les florins. Psychopathe en puissance, il devient rapidement un meneur sanguinaire. Mais chut, ça, c’est pour le prochain tome.

Fabuleuse bédé maritime d’aventure, 1629 m’a complètement scotché. J’y ai retrouvé le même souffle épique que j’avais tant aimé dans : Long John Silver de Dorison et Lauffray, L’île au trésor de Stevenson 


                                                     


ainsi que le film Master and Commander : De l’autre côté du monde de Peter Weir


                                             


Bande dessinée anxiogène, pleine de fougue, de sueur, de fureur, de chaos et de tension à couper au couteau, 1629 propose une implacable aventure où le vernis de la civilisation s’écaille et la flamme de l’humanisme vacille. De celles où les plus grandes qualités de l’être humain et ses pires aspects s’entrelacent dans une sombre valse aussi désespérée que dramatique

Pour commencer l’été, on ne peut demander mieux.

Xavier Dorison, Mathieu Montaigne, 1629… ou l’effrayante histoire des naufragés du Jakarta, tome 1, Glénat.

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