Aro Satoe : Les irrésistibles mélodies de l’aventure.

                                                                     


Par Robert Laplante

Nous rêvons tous de faire des voyages initiatiques, enfin, je crois. Pour certains c’est celui d’Ulysse. Pour d’autres, celui de Robert-Louis Stevenson à travers les Cévennes ou de Paul de Tarse en Asie Mineure. Pour quelques-uns, c’est celui des pèlerins en route vers Compostelle, que j’ai fait en partie, ou encore la fameuse Pacifique Crest Trail aux États-Unis. Et je ne recense même pas toutes les autres possibilités qui existent. Il y a autant de voyages initiatiques que d’individus.

Si je devais en choisir un, ça serait sans aucun doute celui qui me permettrait de marcher dans les pas de Corto Maltese, le héros romantique par excellence. Ou dans ceux de Théodore Poussin, son digne successeur.

Cela fait des mois que je voulais vous parler de Aro Satoe la toute dernière aventure de Théodore Poussin. Mais quand Christophe Rodriguez m’a demandé de converser de bandes dessinées aux flagrances de l’été et aux voyages, j’ai tout de suite pensé à cette bédé de haut vol. Une histoire qui fleure bon Joseph Conrad, les mondes mystérieux et une époque révolue, pleine de magie, d’aventures, d’honneur et de personnages hors du commun à la hauteur d’un univers en complète mutation.

                                           


Juillet 1934, Theodore Poussin se cache toujours sur l’île de Tanjkeh-Lingur, protégé par Aro Satoe la trafiquante d’armes et ses collaborateurs. Même enterré au fin fond de cette île du bout du monde, le capitaine Poussin n’est toujours pas en sécurité. Il y a un nouveau shérif anglais à Singapour, un certain major Anderson, qui s’est promis de lui offrir une jolie cravate de chanvre.

Isolé sur son île, où on peut le dénoncer à tous moments, rongé par la culpabilité d’avoir laissé ses marins pourrir dans les geôles singapouriennes et détruites par la mort de l’étrange Barthélemy Novembre, Poussin tente de faire oublier de son destin.

                                      


Surtout quand il prend la forme des troupes du major Anderson qui débarquent sur Tanjkeh-Lingur. Pour Poussin, commence alors une longue fuite vers la rédemption et vers sa providence.

14e album d’une de mes séries préférées : Aro Satoe est une des bédés les plus fascinantes de l’année. Un récit qu’il faut déguster quand nous sommes en manque d’aventure, d’exotisme, de voyage mystérieux, de poésie et de romantisme. Bref, quand on est en manque de Corto Maltese.

Cette randonnée dans l’île fantastique, aucun rapport avec la très mauvaise série américaine du même nom, où se terre Théodore Poussin est presque une quête philosophique existentialiste. Un parcours initiatique qui lui offre de réconcilier avec ses démons passés et présents et de faire la paix avec ce qu’il a été, ce qu’il est et ce qu’il va devenir. Une introspection thérapeutique qui lui permet de renouer avec ses idéaux, condition sine qua non pour s’embarquer pour la dernière étape de son long, très long voyage. Une ultime traversée qui lui permettra, enfin on l’espère, de trouver le bonheur, la sérénité et d’accomplir ce que le destin avait envisagé pour lui.

                               


J’ai retrouvé dans ce nouveau Poussin, et pour mon plus grand plaisir, tous les éléments qui m’ont toujours séduit chez lui : personnages lumineux et plus grands que nature, dialogues riches en métaphores, mais où personne ne parle pour ne rien dire où pour meubler un silence anxiogène, la fierté tranquille des marins, la poésie envoûtante de la jungle et la mer. Cette mer omniprésente qui refuse de se taire, qui rythme les insulaires et qui vague après vague impose sa musique au temps et à la vie.

Pétri des ambiances des romanciers d’aventure d’avant les années 50, ce nouvel album est irrésistible, comme le reste de la série d’ailleurs. Enfin pour tous ceux qui comme moi aiment ces péripéties nourries des brumes du mystère. Ces aventures où l’homme se révèle dans toute sa splendeur, transfigurée par l’adversité de la vie, un géant au regard détaché, mélancolique et perçant comme s’il voyait plus loin que l’océan, comme s’il rencontrait des vérités dont nous ignorons l’existence.

                                              


Brûlé par le soleil, le vent et le sel de la mer, Poussin est pour moi l’archétype du marin/gentilhomme de fortune, celui que j’imagine depuis toujours. Ce marin qui a su dompter l’incroyable océan, qui le connaît sous toutes ses coutures et qui n’a rien à foutre de nos petites vies tranquilles de Nord-Américains du XXIe siècle.

Théodore Poussin c’est tout ça et c’est plus. C’est une série efficace, bien écrite, merveilleusement dessinée, pleine de rythme, de poésie, de rebondissements et du parfum nostalgique d’une autre époque. Et ce nouvel album n’a rien à envier au reste de la série.

Il y a des petits plaisirs dont on ne peut pas se passer, Théodore Poussin en est un.

Frank Le Gall, les aventures de Théodore Poussin, tome 14, Aro Satoe, Dupuis.

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