Émouvant et cruel

 

                                                                     


L’enragé

de Sorj Chalandon

Grasset

416 p

Cette rentrée littéraire, bien que jeune, sera-t-elle marquée par le roman coup de poing de Sorj Chalandon ? Journaliste à Libération pendant 34 ans puis au Canard Enchaîné, cet écrivain injecte dans sa littérature « le poil à gratter «  qui dérange. De la relation très difficile avec son père : «  enfant de salaud » au Petit Bonzi, jusqu’à la légende de nos pères, son travail est consignant et que dire de l’écriture qui se situe entre Émile Zola et Victor Hugo. Et nous apprenons, bonne nouvelle qu’il est dans la course pour le prix Renaudot.

Du bagne pour enfants et contexte historique

En commençant la lecture de L’enragé, je savais d’instinct que le travail de mon père allait refaire surface. Plus jeune directeur de France en 1970 de La Protectrice (centre pour adolescents en difficulté), il a passé une partie de sa vie à venir en aide à ses «  petits »  en détresse. Dans ma bibliothèque, un livre dur, issu de ses lectures, que je conserve précieusement.

                                                       


En octobre 1932 par une association qui tourne mal, Jules Bonneau dit «  La teigne » est envoyé dans la colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer (Bretagne). 

                                                            https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tablissements_p%C3%A9nitentiaires_de_Belle-%C3%8Ele-en-Mer

Un complexe de correction qui a pour objectif de «  casser les futurs voyous ». Ils sont en majeure partie : des pupilles de la nation, des enfants abandonnés ou orphelins, certains effectivement violents, mais qui auraient très bien pu prendre un autre chemin. La société française est dure avec la délinquance comme en témoignèrent Jean Genet et plus encore, Auguste Le Breton avec Les hauts-murs.


                                         


Dans cette prison, tout règne. De l’humiliation à la brimade, des sévices corporels, à la privation, sans oublier «  le trou ». C’est la loi du plus fort, mais non du plu têtu sauf Jules ! Il ne se laisse pas marcher sur les pieds, avale ses pleurs, impose ses règle aux caïds du coin sans toutefois chercher la bagarre. Des amis, il en a peu sauf le petit Loiseau. Un enfant frêle qui servira de pâture aux plus méchants, jusqu’au’ jour au La teigne, prendra sa défense, abandonnant son assaillant pour presque mort.

Voyou, La teigne, peut-être ? Mais c’est un enfant rempli de rage qu’il a bien du mal à se contenir. «  Je rêvais de tuer pour ne pas avoir à le faire ».

Le 27 août 1934, une révolte pour un motif banal. Un enfant a croqué dans son fromage avant le plat principal. Rouée de coups par les gardiens, la vie de ce pauvre être ne tient qu’à un fil et il n’en fallait pas plus pour que l’heure de la vengeance sonne. Faisant table rase au réfectoire, rosant les cognes, les 56 «  colons » vont s’évader   sans planification. Dans cette nature hostile, où il est presque impossible de fuir, les gendarmes comme les habitants auront 20 francs pour chaque capture. Sur ce bout d’île, un poète célèbre est de passage : Jacques Prévert. Il en tirera un texte qui dira tout sur ce «  bon peuple »

https://www.wikipoemes.com/poemes/jacques-prevert/chasse-a-lenfant.php


La magie du romancier entre en jeu. Se glissant dans la peau de Jules, il imagine sa fuite. Il offre des pages troublantes, une humanité dans la terreur. Recueilli par un couple de pécheurs, Chaladon évoque l’esprit de résistance de ces marins ou se côtoie toutes les nationalités. Jules y trouvera un certain havre de paix, justement parce que la fidélité aux idées est bien ancrée. En même temps, nous suivons en toile de fond cette Europe (1936) qui se liquéfie. Louvoyant entre la montée des fascismes et une certaine réactance, La teigne n’oubliera jamais le petit Loiseau qui se pendra à 18 ans. La vengeance sera terrible. Nous vous laissons découvrir la suite.

Une puissante évocation  sur un enfant battu qui vous hantera longtemps. L’écrivain vient de nous offrir sans contredit LE roman de la rentrée.

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