Le Chevalier au Dragon : Le retour du chevalier prodigue.

 

                                               


Par Robert Laplante

Qui aurait pu prédire que le roi Arthur et ses chevaliers de Table ronde sauraient encore nous surprendre en 2024.

Alors que je croyais qu’on avait tout dit sur les légendes arthuriennes, elles réussissent encore à me surprendre tout comme ses aficionados et ceux qui s’y sont consacrés. Du moins ceux qui savent observer, analyser et fouiller les archives.

C’est le cas de l’acteur, auteur et médiéviste Emanuele Arioli. À l’automne 2010, alors qu’il consulte Les prophéties de Merlin, un recueil de textes datant du XIII siècle, à la bibliothèque de l’Arsenal à Paris, il tombe par hasard sur une partie de l’histoire d’un chevalier de la Table ronde inconnu. Celle de Ségurant le Brun ou Sivar le chevalier au dragon.

                                   


Sans le savoir, le chercheur de 22 ans venait de s’embarquer dans une véritable quête du Graal qui le mènera pendant une décennie des bibliothèques de France à celles des États-Unis en passant par l’Italie, la Suisse, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la Belgique. Tout ça pour reconstituer l’histoire de ce chevalier oublié !

Après avoir consulté des centaines de manuscrits, Arioli en trouve 28 qui lui permettent de tracer un portrait crédible de son parcours. Dès 2019, il fait connaître aux amateurs des légendes arthuriennes ce chevalier anonyme passé dans la moulinette de l’amnésie historique.

                                   


Une amnésie d’autant plus surprenante qu’il était très populaire au Moyen-Âge, ce chevalier au dragon. Une véritable vedette dont les exploits ont été retranscrits et réécrits maintes et maintes fois par les copistes.

Il faut dire qu’avec son dragon, ses origines modestes et mystérieuses, sa mélancolie, sa solitude, sa pugnacité ainsi que sa surprenante quête, qui en fait plus un jouet dans un affrontement entre dieux qu’un guerrier en possession de tous ses moyens, Sivar avait tout pour plaire.

                                 


À moins que ce soit son lieu de naissance. Sivar vient de la mystérieuse île de Non-Sachante. Un endroit situé entre l’Angleterre et l’Irlande. Loin de la guerre fratricide qui oppose les Celtes romanisés du royaume de Logres à ceux de la Cornouailles, du Pays de Galles, des terres du nord et des autres îles, adeptes des anciens cultes et des traditions immémoriales.

Fils d’une des 4 seidkonas, ces sorcières qui pratiquent le seiðr, la magie celte, Sivar est marqué du sceau d’un destin tragique. Sa mère, qu’il n’a jamais connue, s’est sacrifiée pour sauver le monde de la furie Elcmar. Ce mauvais dieu qui songe dévaster notre monde. Au prix de sa vie, elle l’a emprisonné dans le Sidr, cet autre monde, d’où il rêve d’exaucer son châtiment et de détruire son antagoniste de frère Dagda.

                                 


Mais il n’y a pas qu’Elcmar qui crie vengeance, il y aussi Morgane. La demi-sœur d’Arthur, et une des 4 seidkonas, qui veut en finir une fois pour toutes avec son frère de roi. Pour assouvir son désir de revanche, elle fait évader Elcmar du Sidr et l’aide à mettre la main sur le Graal, le réceptacle de l’immortalité qui avant d’appartenir au Christ avait été la propriété de Dagda.



Aidée de sa terrible alliée, Elcmar s’engage dans une sanglante conquête de la Grande-Bretagne poursuivie par le chevalier au dragon qui fera tout pour l’empêcher de mener à terme son projet destructeur. Même si ça signifie la perte malencontreuse de la sainte coupe

Après un livre historique sur le chevalier, un documentaire, un livre pour enfants, quelques conférences disponibles sur Youtube, Arioli s’est tourné vers la bande dessinée, un médium parfait, pour raconter son chevalier au dragon. Le résultat estune BD captivante, dessinée avec rythme et énergie, par Emiliano Tanzillo.

Le dessinateur Italien semble merveilleusement à l’aise dans cette puissante saga aux nombreux rebondissements. Son style et sa mise en page aux parfums du manga et du dessin animé tranchent, et c’est une très bonne idée, avec l’image plus musclée et virile des productions traditionnelles arthuriennes.

Tanzillo se moule parfaitement au scénario d’Arioli et épouse la musicalité d’une narration qui n’a aucun temps mort et qui est pleine d’humour. Le duo propose un chevalier rafraichissant, hésitant, plus humain, fragile, impulsif, incontrôlable et quelques fois poule pas de tête. Un aspirant chevalier qui ne comprend pas encore toutes les implications de sa quête et qui n’est pas encore cette légende guerrière qu’il va devenir plus tard.

Très très belle découverte ; le chevalier au dragon est aussi porté par l’irrésistible séduction symbolique des légendes arthuriennes, dont l’Occident ne semble jamais se lasser.

Une belle plongée dans des âges de chaos où l’Empire romain, maintenant absent de la Grande-Bretagne, laisse le territoire à des Celtes déchirés entre le nouveau culte et les anciens qui veulent faire un dernier baroud d’honneur.

Emanuele Arioli, Emiliano Tanzillo, Le Chevalier au Dragon, Dargaud

Commentaires

Messages les plus consultés de ce blogue

Les bandes dessinées de l’année 2023

Du grand Ken Follett

Les coups de coeur de l’année 2023