Barcelona, âme noire, la vengeance interlope.

 

                                                           


Par Robert Laplante

Il y a quelques jours le Portugal célébrait le demi-siècle de sa révolution des œillets. Un coup d’État pacifique, mené par des militaires, qui rétablissait la démocratie et mettait fin à 41 ans de dictature salazariste. Dans un peu plus d’un an, le 20 novembre 1975 plus précisément, ce sera au tour de l’Espagne de célébrer le 50anniversaire de la mort de Francisco Franco qui pendant 37 ans a mené d’une main de fer les destinées du pays des Cervantes.

Si je suis incapable de dire si la bédé portugaise a beaucoup abordé l’Estado Novo ces dernières années, j’ai quand même l’impression qu’en Espagne, certains l’ont fait un peu plus. Je sens que plusieurs bédéistes espagnols entreprennent de fouiller cette période sombre de leur histoire. Il faut déclarer que le totalitarisme du Caudillo a profondément marqué la société hispanique. Tellement, que les plaies commencent à peine à se cicatriser.

                                       


Barcelona, âme noire, de Pellejero, Torrents, Pardo, Lapière et Jakupi font partie de ces bandes dessinées qui explorent le quotidien d’une Espagne qui tente de survivre dans une dictature qui coupe les ailes à tous ceux qui veulent s’en échapper.

20 novembre 1975, Don Carlos Moreno quitte son Espagne pour Perpignan. Le chemin, il le connaît parfaitement puisqu’il le fait régulièrement depuis 1948. Faut bien aller en France pour récupérer des produits qu’on ne trouve pas dans son pays. Des produits qu’il revend à prix forts sur le marché noir. Mais en ce 20 novembre 1975, Don Carlos Moreno ne va pas acheter des marchandises, non, c’est plutôt une nouvelle vie qu’il recherche dans l’Hexagone.

                                   


Épuisé par ses années dans les milieux interlopes catalans dont il est un des caïds, renié par son fils, abandonné par sa femme, fatigué par un désir de vengeance qui l’a tenaillé toute sa vie, Don Carlos désire redécouvrir la vie. Cette vie calme et ordinaire qui lui a été confisquée quand, gamin, il a trouvé le cadavre de sa mère, victime d’un tueur en série. Pendant que Barcelone tombait sous les assauts des nationalistes franquistes, le jeune Carlos, lui, mettait les pieds dans une infernale spirale de violence et de mensonges qui allait l’aspirer complètement. La mort du vieux dictateur est peut-être l’occasion qu’il attendait depuis sa jeunesse, celle qui allait lui permettre enfin de goûter à la paix, loin de l’obscurité barcelonaise.

Nouvel album de Pellejero Barcelona, âme noire est une fascinante incursion dans le monde du crime barcelonais sous Franco. Un monde interlope qui pour survivre dans un régime de terreur, de délation et de corruption doit accepter toutes les compromissions avec le pouvoir. Même si ça signifie faire profil bas et négocier en sous-marin avec un gouvernement qui se targue d’être, en surface du moins, le défenseur de la loi et de l’ordre.

                                         


Dans ce contexte aussi difficile, Don Carlos Moreno doit mener une double vie. Respectable homme d’affaires le jour, il devient la nuit un cruel caïd. De quoi rendre fou n’importe qui, même lui. Au fil des pages, Don Moreno a de plus en plus de difficultés à concilier sa façade convenable et son côté sombre. Son apparence jadis si honorable craque maintenant de partout et laisse filtrer des parcelles de son obscurité. Et quand le vernis commence à craquer, on le sait, ça ne prend pas beaucoup de temps pour que tout parte en vrille et que le parfum nauséabond des secrets trop longtemps enfouis se fasse sentir.

Saga familiale aux allures d’un polar, Barcelona, âme noire est une intéressante bande dessinée. Pas la meilleure de Pellejero, mais un album qui vaut tout de même le détour.

                                  


À cause de l’histoire qu’elle raconte bien sûr. Ce n’est quand même pas tous les jours qu’on peut explorer le milieu criminel barcelonais. Mais il n’y a pas que ça, il y a aussi la période où elle se situe. Une époque riche en drames humains et en poignants récits. Il y a quelque chose de troublant dans ces bandes dessinées qui mettent en lumière le quotidien et les contradictions de cette démocratie confisquée par les militaires, les conservateurs, l’Église et les frustrés revanchards, Et quand ces bédés sont illustrées par des auteurs aussi talentueux et élégants que Pellejero, il est certain qu’on s’y plonge avec encore plus de passion.

Barcelona, âme noire n’est pas exempte de faiblesses. J’aurais aimé qu’elle soit plus longue. J’ai eu l’impression que tout allait trop vite. Comme si les auteurs n’avaient eu pas assez de pages pour laisser respirer leur récit. Comme si pour gagner du temps ils avaient dû proposer des transitions trop rapides pour passer d’une époque à l’autre. Peut-être qu’avec un tome de plus, les auteurs auraient pu lui donner le souffle nécessaire pour en faire une grande bédé, pour lui permettre de concrétiser le potentiel qu’elle promettait dans les premières pages.

Mais bon, j’ai quand même beaucoup aimé Barcelona, âme noire. Même s’il lui manque ce ferment qui en aurait fait une grande bédé. Et je crois que cette étincelle aurait pu naître avec une histoire qui aurait pris plus de temps pour se développer.

Ce qui ne m’a pas empêché d’avoir eu beaucoup de plaisir à la lire.

Pellejero, Torrents, Pardo, Lapière, Jakupi, Barcelona, âme noire, Dupuis.

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