La route : Au sud, le paradis

                                                           


Par Robert Laplante

Il y a certaines bandes dessinées dont on n’a pas le droit de se passer. La route de Manu Larcenet fait partie de ces trop rares œuvres que nous devons absolument lire au moins une fois dans sa vie, bédéphile ou non.

Adaptée du mythique roman post apocalyptique de Cormac McCarthy, la nouvelle BD de Larcenet était une des plus attendues de l’année. Comme chacune de ses parutions, me direz-vous. Encore une fois, le talentueux auteur ne déçoit pas. Larcenet impressionne dans cet univers sombre et désespéré. Autant, et peut-être même plus que dans ses incontournables Blast et Le rapport de Brodeck.

                           


On a presque tous entendu parler, au moins une fois, du roman de McCarthy ou de son adaptation cinématographique signée John Hillcoat. Mais pour ceux qui sont moins familiers avec le roman ou le film ; La route est la longue marche d’un homme et de son fils à la recherche d’un paradis pour y vivre. Un lieu situé au sud, où ils espèrent échapper à cette terre complètement empoisonnée, ravagée par une catastrophe, des incendies gigantesques et un soleil absent caché en permanence par des nuages lourds et une neige qui ne cesse de tomber. Méfiants, l’homme et le fils tentent d’éviter tout contact avec les autres rescapés potentiellement dangereux, violents et cannibales. Une condition sine qua non pour survivre dans ce monde impitoyable.

                                           


Pulitzer de la fiction en 2007, le succès populaire et critique de l’impossible quête cabalistique, métaphorique métaphysique de McCarthy a permis aux œuvres post apocalyptiques, très présentes depuis l’explosion de la bombe atomique, de franchir le cercle des initiés pour toucher ceux qui les regardaient d’un peu de hauts.





                                                   






Si mes souvenirs du film sont assez imprécis, je sens que la BD va m’accompagner encore longtemps. Il faut dire que Larcenet est particulièrement à l’aise dans ce système glauque, désespéré, au silence oppressant et aux ruines troublantes. Témoignages du triomphe et de la décadence de cette espèce fraternelle qui a réussi à tout détruire sur son passage.

Son trait sombre, inquiétant et quelques fois vaporeux, se marie à merveille à l’ambiance anxiogène d’un univers où les menaces sont constantes. Comme si chaque heure devenait une journée, une semaine, un mois, une année, une éternité.

Avec ses dialogues minimalistes, ses cruelles scènes d’hiver, ses imposants paysages de fer et de briques, ses silhouettes de pendus, ses nocives hordes d’humains qui vagabondent et cette solitude qui déstructure tout, Larcenet peint une cauchemardesque réalité autant vivante que dangereuse, aussi repoussante qu’hypnotique. Une quête dessinée où l’exode ne semble jamais prendre fin, et où les routes qui s’entrelacent, s’écartent de ce paradis de plus en plus loin à mesure que l’homme et le fils s’en approchent.

Totalement au service d’un récit qu’il maîtrise parfaitement, le bédéiste n’en fait jamais trop. Alors que d’autres auraient pu choisir le tape-à-l’œil, l’esbroufe ou l’héroïsme graphique, Larcenet, lui, y va pour l’efficacité narrative. Chaque case, chaque coup de crayon, chaque mot est essentiel et ne pourrait être escamoté sans nuire au résultat final.

Rarement en bande dessinée, ai-je vu un cauchemar aussi plausible et authentique. Comme si le trait de Larcenet avait traduit toutes les images que j’ai dans ma tête depuis que je fréquente cette littérature. Depuis toujours quoi.

Même si à l’occasion je me suis retrouvé un peu en terrain connu, l’auteur a su embraser mon attention du début à la fin. Tellement capté que l’obscurité de son monde a longtemps habité mon esprit après sa conclusion.

Une bande dessinée magistrale.

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