Le dernier debout. 15 rounds pour l’égalité.

 

                                                   


Par Robert Laplante

Dans quelques jours, ce sera l’ouverture des Jeux olympiques de Paris. Avec sa kyrielle de drames humains, le sport est un terrain fabuleux pour de passionnantes œuvres culturelles. Alors pour bien se préparer au buffet sportif qui est à nos portes, deux bédés sportives qui valent le coup d’œil.

Le ring de l’égalité.

Jack Johnson aurait pu devenir champion olympique de boxe s’il avait pu et voulu participer aux jeux de Londres en 1908. Il n’y était pas, parce qu’il était trop occupé à convaincre le champion poids lourd, le Canadien Tommy Burns, à l’affronter dans un match de championnat. Ce qui était interdit par une loi qui empêchait les boxeurs noirs de s’opposer aux boxeurs blancs. Les meilleurs ne pouvaient donc pas se rencontrer pour le titre de champion.

Pourtant Jack Johnson, lui, était prêt à les croiser, qu’ils soient blancs, jaunes, orange, bleus ou multicolores. Dans sa tête il était le vainqueur et il voulait le crier à la face de l’Amérique.

                           


Après plusieurs demandes, Burns accepte enfin de l’affronter le 26 décembre 1908. Un jour mémorable, où Johnson terrassa le Canadien et la loi raciste. Celui où il devient le premier champion poids lourd noir.

C’est l’histoire de cette immense icône, en guerre contre un sport et une communauté discriminatoire, que raconte la poignante bédé Le dernier debout signée Youssef Douadi et Adrian Matejka dont Futuropolis vient de publier la traduction française.

Fascinante expérience narrative, Le dernier debout fait partie de ses œuvres qui observent nos sociétés à travers le prisme de la boxe. Il faut dire que le noble art se prête à merveille à la représentation de ces tragédies humaines où le frisson de la victoire et l’agonie de la défaite, pour reprendre la ritournelle du mythique ABC’s Wild World of Sport, valsent constamment ensemble.

                                       


Seul dans l’arène contre les boxeurs blancs qui le craignent autant qu’ils le détestent, Johnson affronte plus que ses adversaires. Il doit aussi se battre contre la haine d’une Amérique qui ne considère toujours pas ses citoyens noirs comme égaux. Une Amérique qui n’hésite pas, encouragée par les promoteurs du combat qui réclament sa tête.

                                    


Après sa victoire du 4 juillet 1910 contre l’ancien champion James J Jeffries, qui sortait de sa retraite pour sauver l’honneur des blancs, le pays fut ébranlé par plusieurs agressions racistes. Le Missouri, l’Illinois, l’Ohio, la Pennsylvanie, le Colorado, le Texas, les villes de New York et de Washington furent le théâtre de la fureur des blancs, qui s’en prirent physiquement aux personnes noires qu’ils croisaient. Des dizaines d’Afro-Américains paieront de leur vie le triomphe de Johnson.

Fier et arrogant, Johnson défie les bonzes de la boxe et la société en général. Il flirte et épouse des femmes blanches au mépris de la loi Mann. Une loi qui interdisait les actes « immoraux » dont les mariages interraciaux. Ce qui le conduira en 1920 à être condamné à un an de prison. Ironiquement c’est Donald Trump qui, le 24 mai 2018, le graciera à titre posthume.

                                                


Époustouflante bande dessinée au rythme endiablé et hypnotique Le dernier round frappe et ébranle comme les poings de Johnson. Avec son montage dynamique, son graphisme nerveux et son scénario haletant qui déchire la bande dessinée met la lumière sur ce personnage irrésistible et insaisissable, victime tragique d’une société qui ne veut ni le reconnaître ni le voir.

Difficile de ne pas être séduit par cet exercice, aussi solide graphiquement que scénaristique, qui nous amène sur des sentiers qui nous déstabilisent autant que le fut le pauvre Jeffries incapable de s’adapter à la stratégie du danseur acrobate aux poings de pierre qu’était Johnson.

                                                         


Une course folle, folle, folle, folle.

En 1904 les jeux Olympiques ont lieu à Saint-Louis, une des nombreuses activités de l’Exposition universelle.

Si l’exposition propose pour la première fois à un large public le cornet de crème glacée, la barbe à papa, le hamburger, le hot-dog, le beurre d’arachides, le thé glacé et le Dr Pepper, les olympiades, elles, y présentent pour la première fois, mais en démonstration, du basket-ball, du football et du water-polo. C’est aussi là que les médailles d’or, d’argent et de bronze firent leur apparition.

                              


Des Olympiques de Saint-Louis, l’histoire a surtout retenu le marathon qui fut sans doute le pire. Foutrement mal organisé, avec son parcours de terre et de poussière qui traversait 7 collines, sa température de 30 degrés, son départ à 15 h 3 au lieu de l’aurore et son unique point d’eau situé au 20kilomètre, avait tout, pour se muer en catastrophe.

                                     


De la disqualification de l’Américain Frederick Lorz, qui avait fait une partie de la course en voiture, aux délires hallucinatoires de Thomas Hicks, a qui ses entraîneurs donnaient des doses de strychnine et d’eau-de-vie pour le fouetter, en passant par Len Taunyane et Jan Mashiani, premiers Africains à participer aux Jeux olympiques, poursuivit par une meute de chiens enragés, le marathon de Saint-Louis est vite devenu un laboratoire incontrôlable et imprévisible.

Une impitoyable expérience qui sous la plume de Toussaint et Munuera devient une sympathique comédie dessinée aux parfums d’Un monde fou, fou, fou, fou pour ceux qui se rappellent de cette comédie cinématographique déjantée de 1963.

                                        


Malheureusement si on trouve dans ce récit de fabuleux moments d’humour absurde ainsi que désopilant, il faut reconnaître que les bédéistes ne se sont pas totalement rendus au bout du filon. Il y manque un petit quelque chose. Comme s’ils n’avaient pas eu assez de pages pour bien rendre compte de cette imprévisible course hors du commun.

Une BD amusante, mais qui aurait pu l’être tellement plus.

Youssef Daoudi, Adrian Matejka, Le dernier debout, Jack Johnson fils d’esclaves et champion du monde, Futuropolis.

Munuera, Toussaint, La course du siècle, Saint-Louis 1904, Le lombard.

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