Peter Pan de Kensington : Peter avant Pan.

                                                          


Par Robert Laplante

Pour une bonne partie d’entre nous, dont moi, Peter Pan est né quelque part en 1904. Année où l’auteur écossais James Matthew Barrie présentait sur les planches d’un théâtre londonien sa pièce : Peter Pan, où le garçon qui ne voulait pas grandir qu’il adaptera en roman en 1911 sous le titre de Peter et Wendy.

Pourtant, Peter Pan existait bien avant son irruption soudaine sur les scènes théâtrales de la Old Smoke, comme on aimait surnommer Londres. Il a fait ses premiers pas auparavant. Plus précisément en 1902, dans les pages du Petit oiseau blanc. Une courte apparition qui marqua assez les esprits pour qu’en 1906, un éditeur réunisse en un livre les chapitres du Petit oiseau blanc où on l’aperçoit. Magnifiquement illustré par le légendaire Arthur Rackham, Peter Pan dans les jardins de Kensington devient vite un classique.

                          


Un bijou qui malheureusement ne traversera pas la mer et ne rejoindra pas les francophones européens. Il faudra attendre 2006, pour voir une maison d’édition, l’éditeur dinannais Terre de brume, proposer une version française des premières aventures de ce personnage qui a inspiré une légion de romanciers, cinéastes, bédéistes, dramaturges.

Parmi ces créateurs, il y a l’excellent José-Luis Munuera. Le dessinateur espagnol vient d’ailleurs de lui rendre un émouvant hommage dans une sympathique adaptation de Peter Pan de Kensington aux éditions Dargaud. Une bande dessinée pleine de poésie et de tendresse qui permet au bédéiste d’arpenter des sentiers auxquels il m’avait moins habitué.

                                   


Tout comme il y a Londres de jour et une de nuit, il y a un Kensington diurne et un autre nocturne et loin de se ressembler. Une fois l’obscurité tombée, plus rien n’est pareil dans les célèbres jardins. Exit la froide réalité, bienvenue dans la chaleur séduisante de l’esprit. Là où le merveilleux prend possession de cette apaisante oasis de paix.

Enfin, quand je dis réconfortante havre de tranquillité, ce n’est pas pour tout le monde. Pas pour la petite Maimie Mannering, à peine six ans, qui s’est perdue dans cet immense parc. En tentant de retrouver son chemin, elle croise des fées qui espèrent lui manger les doigts et un certain Peter qui vient, paraît-il, du pays imaginaire. Une île où les enfants ne grandissent jamais.

                                


Malheureusement pour Peter, qui cherche une compagne de jeu, Maimie veut retourner chez elle. Et pour réussir à rejoindre son monde, la jeune demoiselle à besoin de l’aide de la Reine des fées. Mais la Reine, comme toutes les reines, ne fait rien de gratuit. Certes elle est prête à l’aider, mais en échange elle devrait résoudre une énigme. Si elle trouve la réponse, la gamine pourra retrouver son domicile. Sinon elle restera éternellement coincée dans le parc.

Après les réussis Bartleby, le scribe d’après Herman Melville, et Un Chant de Noël adapté de Dickens, Munuera continue à vagabonder sur les sentiers d’une littérature anglophone victorienne. Un univers qu’il maîtrise parfaitement et qu’il traduit avec évocation grâce à son trait teinté de brumes et de mystères.

                            


Il faut dire qu’il est très à l’aise dans ce parc si accueillant le jour et si différent la nuit, quand les fées et les autres créatures fantastiques, qui vivent en marge de la rationalité de la société industrielle triomphante, prennent son contrôle. Sous sa plume chaque buisson, chaque haie, chaque boisé devient un monde merveilleux qui échappe totalement à notre contrôle. Un univers où se meuvent des ombres terrifiantes, comme l’apprendra la petite héroïne de cette très belle bédé.

Avec ses clins d’œil à Alice aux pays des merveilles de Lewis Carroll et aux illustrations de John Tenniel et d’Arthur Rackham, le bédéiste dépeint un univers aussi séduisant qu’inquiétant. Un théâtre où tout peut arriver et où tous nos repères s’évaporent. Visiblement à l’aise dans ce petit monde, Munuera, admirablement appuyé par les couleurs de Seydas, se moule à merveille dans l’atmosphère irréelle et nostalgique mise en scène par Barrie.

Et si on peut regretter que le conte soit un peu court et que Peter ne soit pas encore celui qu’on aime tant, normal qu’il en est encore à ses balbutiements, il y a quelque chose de fondamentalement beau dans cette histoire. Comme si Munuera avait réussi à nous ramener au paradis perdu de notre enfance. Quand nous rêvions, nous aussi, de ne jamais grandir.

Une belle lecture d’automne  et sous peu en librairie. Soyons patients 

José-Luis Munera, d’après le conte de J. M. Barrie, Peter Pan de Kensington, Dargaud.

Commentaires

Messages les plus consultés de ce blogue

Les bandes dessinées de l’année 2023

Les coups de coeur de l’année 2023

Jean Giraud alias Moebius : L’homme pluriel.