Interlude : les pianos de l’espoir.

 

                                                                 


Par Robert Laplante

Ce qui me fascine avec la Seconde Guerre mondiale, c’est qu’au fil de mes lectures, je découvre toujours quelque chose. 79 ans après sa conclusion, elle continue de faire parler d’elle et de me surprendre.

Prenons par exemple le G. I. Piano,


                                                 


 que l’on appelait aussi le Victory Vertical, était un piano conçu par Steinway, à la demande de l’armée américaine. Une fois construits, ces instruments étaient parachutés sur les différents théâtres des opérations, pour égayer un peu la vie des soldats.

                                           


Entre les rafales de mitraillettes, le vrombissement des avions de chasse, les explosions terrifiantes et les gémissements des agonisants, quelques notes d’un swing bien senti pouvaient presque faire croire aux soldats qu’ils étaient revenus à la maison, là-bas en Amérique. Comme le disait si justement Théodore Steinway, « la musique est plus essentielle pour les vivants que les cercueils ne le sont pour les morts. »

C’est cette facette de la boucherie de 39-45 que raconte : Interlude, une sympathique bédé de Céline Pieters et Celia Ducaju, qui vient d’arriver sur les tablettes de nos librairies.

La-Roche-en-Ardenne, Belgique, hiver 1944-45. La commune francophone, située dans la province belge du Luxembourg, est au cœur, comme beaucoup de ses consœurs, de la folie meurtrière de la bataille des Ardennes, une des plus importantes opérations militaires de la Deuxième Guerre mondiale.

                                 


Pendant une accalmie, les bombardiers américains larguent des provisions, des marchandises, probablement des armes et munitions ainsi qu’un piano qui est destiné aux soldats américains qui marchent vers le front. De quoi réjouir les troupiers qui, grâce à certains de leurs frères d’armes, peuvent enfin écouter des mélodies de chez eux. Comme : Chattanooga Choo Choo

                                  


ou Moonlight Serenade.


                                   


Mais voilà, on ne peut pas rester à écouter le piano toute la nuit. Les combats sont proches et les troupes américaines doivent rejoindre Dinant. D’autant plus que les Allemands viennent de lancer une offensive surprise. Une charge, qui les force à quitter rapidement leur camp et à abandonner tout ce qui n’est pas utile… dont le piano.


                                 


Cela ne fait pas l’affaire du sergent Kenneth Brown. Il refuse de laisser ce joyau derrière lui. Un trésor qui être doit préserver à tout prix.

À force de discussions animées, il réussit à faire plier son lieutenant. Il aura 48 heures et deux hommes pour le protéger des pilleurs de la Sonderstab Musik, une unité allemande chargée de localiser les manuscrits, les livres et les instruments de musique. Au-delà de ces 48 heures, s’ils n’ont pas rejoint le front, ils seront déclarés déserteurs.

Pour les trois combattants, commence alors une étonnante fuite à travers des Ardennes, pleines de soldats de la Wehrmacht, pour sauver le piano. Un incroyable jeu du chat et de la souris qui vibre au rythme des Sing, Sing, Sing,


                          


Cowboy’s Lament, St James Infirmary et autres Dont Get Around Much Anymore.

Tout comme Robert M Ersel l’avait fait avec ses Monuments Men, Interlude fait de la lumière sur ce théâtre peu connu de la Seconde Guerre mondiale.

Scénarisé par Céline Pieters, qui réussit à transformer un presque fait divers en une épopée, Interlude rappelle que dans ces temps chaotiques, il existe de petits espaces où l’humain peut retrouver un peu de son humanité. Et la musique est un de ces petits espaces.

Un peu comme dans Band of Brothers, où les hommes de la Easy Compagny écoutent une chorale leur chanter Plaisir d’amour.


                 


                        

 Un peu comme dans Saving Private Ryan, où Tom Hanks et ses soldats écoutent Tu es partout d’Edith Piaf


                                    


 avant le baroud final, Céline Pieters rappelle à notre mémoire que la musique a un pouvoir symbolique que même la férocité des combats ne peut annihiler.

Interlude compte aussi sur le trait efficace de Celia Ducaju. La dessinatrice réussit, grâce à ses excellentes séquences oniriques, à redonner une parcelle d’espoir dans un monde où il ne semble plus en exister.

Bande dessinée de facture classique, au dessin agréable et au scénario efficace, même si on pourrait développer plus les personnages, Interlude nous ramène dans le quotidien d’une mission sans gloire, loin des exploits hollywoodiens, mais essentiels.

Ce qui est déjà beaucoup.


Céline Pieters, Celia Ducaju,
Interlude, Dargaud

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