Le journal de 1985 : retour en Océania

                                                                 


Par Robert Laplante

En 2021, l’excellent bédéiste Xavier Coste a relevé un défi « casse-gueule » : adapter en bande dessinée, l’essentiel 1984 de George Orwell. Un pari presque impossible puisque chaque lecteur de l’écrivain britannique, né en Inde, avait sa propre représentation du livre.

Pourtant, le bédéiste a réussi là où Michael Radford, réalisateur de la dernière refonte cinématographique en 1984, a déçu. Même s’il est vrai que la performance de John Hurt en Winston Smith était plutôt impressionnante. À la différence du cinéaste, Coste a su proposer une lecture personnelle, puissante et anxiogène d’un des romans les plus pertinents et prophétiques du XXe siècle.

                                         


Fort de son succès, Coste décida de s’atteler à une suite à 1984. Un pari encore plus fou que le précédent. Il fallait avoir les reins solides, une dose d’inconscience ou une confiance absolue en sa bonne étoile pour imaginer une suite à ce roman et chausser les souliers du grand romancier.

Force est d’admettre que le Bayeusain a réussi. Le journal de 1985 est tout simplement une immense bédé qui m’a habité plusieurs jours après sa lecture. Si son 1984 m’avait impressionné, Le journal de 1985, lui, m’a ébranlé.


                                     


Cela fait presque un an que Winston Smith a cessé de résister à Big Brother. Le pouvoir en place s’est durci, et a imposé des mesures encore plus coercitives pour « protéger » les Océaniens. Pas le choix, puisque l’Estasia et l’Eurasia sont maintenant unies contre l’Océania. Pour la première fois, le bruit des combats se rapproche dangereusement de la capitale.

                               


Malgré ce climat de peur et d’angoisse, les autorités retrouvent régulièrement, et un peu partout, des copies du journal personnel de Winston Smith. Comme si ce dernier, loin d’être repentant de ses actions passées, recommençait à semer la zizanie et le découragement chez ses compatriotes. Un comportement inacceptable, d’autant plus que Goldstein et ses fascistes n’ont jamais été aussi puissants et aussi proches de terrasser l’Océania.

Mais voilà, l’exécution de Wilson ne calme rien. L’État a beau l’avoir éliminé, lui et ses complices, son journal continue de réapparaître régulièrement. Les apparatchiks du pouvoir n’ont plus le choix, ils doivent mettre la main sur celui ou ceux qui diffusent ces écrits dangereux.

                                       


Par le plus grand des hasards, il s’agit de Lloyd Holmes. Un quidam aussi anonyme qu’insignifiant, gardien de sécurité inoffensif de l’imposant Palais de la victoire, un musée consacré à la gloire de Big Brother et du parti.

Sans le savoir, Lloyd va devenir un rouage important dans un piège qui l’emportera, mettra fin à la résistance et permettra à Big Brother de renforcer sa dictature éternelle. Jusqu’à la prochaine crise.

Bande dessinée coup de poing, le Journal de 1985 est un des albums majeurs de l’année. Coste, un de mes bédéistes préférés, retrouve la force, la justesse et l’aisance scénaristique et graphique qui avaient bigarré son 1984. Avec peut-être la différence que l’artisan semble maintenant plus libres de ses mouvements. Comme s’il ne se sentait plus obligé de suivre fidèlement les mots, les sonorités, le rythme et les couleurs avec lesquels l’auteur de La ferme des animaux avait peint l’univers de Winston Smith. Tout comme si s’il pouvait maintenant y intégrer ses propres préoccupations.

Avec son trait brumeux qui suggère plus qu’il montre, ses silences oppressants, illustration de la solitude des Océaniens constamment espionnés par l’État, et ses couleurs ternes et délavés, Coste créer une bande dessinée inquiétante et pessimiste. Une tragédie où le temps s’égrène lentement, tellement qu’une nanoseconde donne l’impression de durer mille ans. Un petit Mickey, où l’atmosphère triste et accablée qui se dégage de chaque dessin nous colle à la peau longtemps, après sa conclusion.

Le dessinateur nous guide intelligemment dans une rébellion sans espoir. Le baroud d’honneur d’un petit groupe d’agneaux sacrifiés qui tentent de garder vivante l’étincelle vacillante de la résistance. Pour qu’un jour les générations suivantes puissent lui donner assez de carburant pour l’embraser et renverser le totalitarisme de Big Brother. Après tout, les dictatures ne sont pas éternelles.

Nous avions besoin d’un nouveau 1984 et il se nomme Le Journal de 1985.

Xavier Coste, Philip Börgn, inspiré de l’œuvre de George Orwell, Le journal de 1985, Sarbacane

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