Ma vie de rêves : Spirou en Bretagne
par Robert Laplante
Ça m’a pris plusieurs années avant d’aimer le Spirou de Jean-Claude Fournier. Des décennies même…
Il y avait bien 2 ou 3 aventures de Spirou que j’appréciais bien, Le faiseur d’or, L’abbaye truquée et L’Ankou, mais disons que je n’étais pas à ce point que sensible à sa vision du groom. C’est peut-être pour ça, que je ne me suis pas tellement intéressé au reste de sa production.
Jusqu’au moment, où j’ai mis la main sur Dans l’atelier de Fournier, une fabuleuse entrevue-fleuve dessinée, que le bédéiste avait donnée à Nicoby et Joub. Un ouvrage, où le dessinateur, qu’on sentait encore blessé par la fin orageuse de sa relation avec Spirou, se livrait en toute transparence. Dans l’atelier de Fournier a eu, chez-moi, l’effet d’une monumentale torgnole qui m’a réveillé…
Et si je l’avais mal jugé ?
C’était impossible de reprendre les rênes de Spirou, après le départ de Franquin. Personne ne pouvait combler le vide causé par l’abandon du maître. Juste d’y penser, c’était de la folie.
Le défi était aussi casse-gueule que celui qu’on avait demandé à Jocelyn Thibault, quand le Canadien avait échangé Patrick Roy. Jocelyn Thibault ne pouvait pas remplacer le meilleur gardien de but de sa profession. Tout comme Fournier, aussi talentueux soit-il, ne pouvait pas chausser les souliers d’un des dieux de la bédé. Non seulement c’était injuste pour Fournier, mais, en plus c’était presque un suicide public commandé par Dupuis. On aurait voulu tuer sa carrière qu’on n’aurait pas faite autrement.
Peut-être que s’il avait été le second ou le troisième repreneur de Spirou après Franquin, il aurait pu imposer son univers, sa poésie, son style et sa narration. Mais ça, on ne le saura jamais, puisqu’un jour il décida, après une trahison de son éditeur, d’abandonner Spirou. Et ce, même s’il avait déjà fait 5 planches de : Le maison dans la mousse. Une nouvelle aventure supervisée scénaristiquement par Franquin et dont Will devait faire les décors.
En bref, la découverte de l’atelier de Fournier m’a profondément surpris,
mais elle m’a également fait réévaluer favorablement ses récits que j’avais initialement mal jugés. Si le bouquin de Nicoby et Joub a marqué le retour, dans ma vie de lecteur, de Fournier, sa toute nouvelle bédé, Ma vie de rêves, elle, vient définitivement consacrer mon intérêt pour son travail.
Dans cette récente bédé, sa première depuis 2019, Fournier a décidé de se raconter. À partir de ses anecdotes, le bédéiste se confie, sans faux-fuyant, sans fard, sans concession.
Le résultat est une kyrielle de moments sympathiques. Il y parle de son enfance en Bretagne, de son amour pour la culture bretonne, de ses voyages de promotion avec d’autres dessinateurs, comme le désopilant Tilleux, véritable roi de l’humour potache, ou encore de son apprentissage auprès de Franquin et de Rosy.
Bien que ces récits soient empreints de chaleur et d’affection, c’est surtout lorsqu’il évoque la tromperie des Éditions Dupuis que la bande dessinée atteint son apogée. Pour inciter Fournier à se dépasser, les dirigeants de la maison d’édition ont décidé de le défier en le faisant concourir contre un duo de dessinateurs de bandes dessinées. Quelque part, dans un des bureaux de l’éditeur, d’obscurs et anonymes administrateurs avaient eu cette idée « géniale. » Une trouvaille exceptionnelle qui devait, selon eux, permettre à Spirou et à Fournier de se renouveler.
Ces « gourous « du marketing de la bande dessinée étaient en réalité de véritables apprentis sorciers, mettant en place, sans le savoir, les pièces maîtresses pour créer une atmosphère angoissante et intimidante. Un climat délétère qui allait ébranler la confiance de Fournier et son attachement pour Dupuis, prêt à le sacrifier sur l’autel des ventes et des fausses bonnes idées.
Ce désaveu, il le vivra difficilement. On le comprend. Ne s’est-il pas fait poignarder par des gens en qui il avait une totale confiance, qui faisaient partie de sa famille, pour qui il était prêt à se sacrifier.
Témoignage éclairant, sans amertume, sans regret, sans règlement de compte, mais avec beaucoup de tendresse nostalgique, Ma vie de rêves raconte un Fournier beaucoup plus sympathique et complexe que je ne le percevais alors quand je lisais, jeune adolescent : Le faiseurs d’or.
Une belle bande dessinée pleine d’amour et de petites bulles de bonheur.
Fournier, ma vie de rêves, Daniel Maghen éditions
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