La mémoire qui dérange

 

                                                         


 

Les yeux du monde

par David Joy

Sonatine

4 22 p

Alors que nous écrivons ces lignes, il est malaisé de deviner l’identité du prochain président des États-Unis. Cette campagne, qualifiée d’« ordurière », est le legs du candidat républicain. Elle soulèvera certainement encore beaucoup de questions dans les prochains mois. Dans ce contexte, qu’est-ce que vient faire notre jeune auteur prometteur, David Joy ? Il aborde avec tact et intelligence un certain nombre de sujets reliés à la mémoire. Des statues qui furent déboulonnées dans le sud des États-Unis au « Black Lives Matter », sans que nous adhérions aux théories « woke » des plus funestes, Les Deux visages du monde sont un peu et même beaucoup le reflet sociologique de notre monde actuel ainsi que sur certaines représentations du passé.


Toya Gardner, jeune afro-américaine et activiste, revient dans son coin de pays après avoir passé plusieurs années à New York. Artiste peintre et sculptrice en herbe, elle veut rendre hommage aux ancêtres de sa région natale, la Caroline du Nord, en y faisant revivre leur mémoire. Par un coup d’éclat, elle asperge de peinture la statue qui trône au centre-ville, dénonçant aussi le déplacement des ossements d’un cimetière d’esclaves, dont sa grand-mère adorée en fit partie.

Mais cette action coup de poing va attiser la haine, faire renaître d’anciennes rivalités, y compris parmi les anciennes activistes du Ku Klux, qui ont revêtu de « nouveaux habits », mais qui continuent de cultiver la même sève, soit celle de la haine et des différences raciales.

Cette fiction, héritière du remarquable essentiel Don Tracy, pionnier en la matière que les lecteurs français découvrirent en 1947 dans la Série noire de Marcel Duhamel, ce roman politico-social, du moins au début, se lit lentement, histoire de s’imprégner de l’air du temps, particulièrement vicié en ce moment.

De Vess, inoubliable grand-mère au caractère bien trempée qui a connu les pires époques de la ville et du comté, au shérif Coggins dont la retraite sera inévitablement bouleversée, cet écrit sur la transmission des valeurs qui comporte une bonne part d’énigmes sous tension policière, avec un assassinat qui va profondément la communauté, est sans contredit, poignant. Parce que les mensonges et le poids du passé autant social que politique peuvent vous remuer (pensons au film Le Corbeau), c’est une autre prise de conscience nécessaire. Et quelle plume !

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