Sa majesté des mouches : L’île de la discorde.

 

                                                               


Par Robert Laplante

Certaines fictions demeurent gravées dans notre mémoire et nous procurent toujours autant de plaisir à relire ou à revoir sous différentes formes culturelles. Sa majesté des mouches, le mythique roman de William Golding, fait partie de ces œuvres indémodables.

                                                 


Curieusement, bien que le roman ait fait l’objet d’appropriations cinématographiques et théâtrales, il n’avait encore jamais été adapté entièrement en bande dessinée. C’est maintenant chose faite, grâce à l’excellent travail de la bédéiste néerlandaise Aimée de Jongh, qui vient tout juste de le mettre en image chez Dargaud.

C’est grâce à mes anciens numéros du magazine Pilote que j’ai découvert l’univers de Sa Majesté les Mouches. Plus précisément par l’entremise de Christian Godard. Le bédéiste s’en était insufflé pour son Royaume d’Astap, une des aventures de Norbert et Kari. Deux personnages du 9art presque oubliés aujourd’hui.

Plus tard, la série « Seuls » m’a fait penser à lui. Le scénariste, Vehlmann, m’avait d’ailleurs avoué en interview que c’était une source d’inspiration. De même pour la série télévisée « Lost » de J.J. Abrams. Série qui, incidemment, comportait, elle aussi, plusieurs clins d’œil aux aventures de Ralph, Jack, Roger, Porcinet et de leurs compères coincés sur cette île déserte.

                                     


Prenons un instant pour résumer l’histoire. Pendant une guerre mondiale, un avion s’écrase sur une île déserte, laissant plusieurs enfants orphelins de tous âges. Ces enfants doivent maintenant s’organiser pour survivre en attendant l’arrivée des secours. Malheureusement, ils n’ont pour modèle que la société des grandes personnes dans laquelle ils ont crû. Rapidement, et comme on peut s’y attendre, les divisions, les injustices, les inégalités, les stéréotypes, les préjugés et les tares présents dans le monde des adultes refont surface dans celui qu’ils sont en train d’échafauder.

                                


Aimée de Jongh voulait depuis longtemps adapter ce roman, mais, pour des questions de droits d’auteur, Dargaud faisait la sourde oreille. Ce n’est qu’en 2021, quand l’éditeur français a enfin accepté, que l’auteure a pu se plonger dans le roman, dont elle dit qu’il l’a marquée à jamais pendant son adolescence. Il faut dire que le succès critique de sa bande dessinée, Jours de sable, avait peut-être rendu son éditeur plus réceptif à son projet. Ça, on ne le saura jamais. Alors, mettons fin aux spéculations et parlons de cette excellente bande dessinée.

Parce qu’il faut avoir une mauvaise foi exceptionnelle pour ne pas qualifier de remarquable la proposition de la bédéiste. Avec élégance, nuance et pudeur, De Jongh a su se plonger dans le monde anxiogène mis en place par Golding. Un univers, qu’elle connaît parfaitement, et qu’elle maîtrise avec l’assurance de celle qui sait ne pas en faire trop, pour obtenir le rythme nécessaire ainsi que son efficacité narrative.

                                    


En adoptant un style économe, discret, moins spectaculaire, la bédéiste sait s’effacer pour laisser toute la place aux mots, aux dialogues, aux observations et aux notes tragiques qui composent la partition écrite par le « nobelisé. »

En utilisant l’intelligence de sa narration et la subtilité de son dessin, De Jongh donne une nouvelle vie à l’histoire emblématique de l’écrivain, qui conserve toute sa pertinence et son actualité. Une œuvre, qu’on aurait intérêt à relire et à remettre dans le cursus de nos programmes scolaires. Parce qu’au fond, avons-nous vraiment changé depuis que Ralph, Jack. Roger et Porcinet et leurs compères se sont écrasés sur l’île ? Je n’en suis pas si certain.

L’adaptation en bande dessinée d’Aimée de Jongh est costaude, elle compte plus de 330 pages. Elle est fascinante, même si l’histoire n’en avait pas vraiment besoin. Elle semblait coincée dans les méandres de notre mémoire collective, qui, elle, est bien poussiéreuse.

Aimée de Jongh, d’après le roman de William Golding, Sa majesté des mouches, Dargaud.

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