La vérité sur l’affaire Bastien Vivès : Le laissez-passer A38
Par Robert Laplante
On ne peut pas le nier, il en a du courage, Bastien Vivès. Du courage et peut-être aussi un brin d’inconscience. Au lieu de se taire et de se faire oublier, comme plusieurs l’auraient fait, il a décidé de prendre ses crayons pour raconter, avec un humour grinçant, sa version de la polémique Bastien Vivès.
Pas la polémique en tant que telle, mais l’après-polémique, puisque l’affaire n’est pas encore terminée. N’empêche qu’elle devient un fabuleux prétexte pour échafauder un hilarant et incroyable théâtre de l’absurde.
Rappelons succinctement les faits.
Novembre 2022, l’organisation du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême décide, pour son édition de 2023, de lui consacrer une exposition.
Il n’en faut pas plus pour déclencher une des controverses les plus violentes qu’a connue Angoulême. Et il y a eu plusieurs polémiques que le vénérable FIBD a vécues. Mais généralement, elles ne dépassaient pas le cercle de la bande dessinée et de ses aficionados. Toutefois à l’heure du #Metoo et des réseaux sociaux, il est bien difficile de circonscrire les potentielles polémiques. Ce qui devait arriver arriva et rapidement la contestation devint virale.
C’est que certains albums du natif de Paris, Les Melons de la colère, La Décharge mentale et Petit Paul, sont assimilés, à tort ou à raison, à de la pédopornographie. Une accusation qu’il rejette, puisque, selon lui, ce n’était que de l’humour. De l’humour provocateur, et peut-être malaisant, mais de l’humour quand même. Soulignons, au passage, que les trois albums étaient disponibles en librairie, mais sous emballage..
Comme si ce n’était pas assez, certaines de ses déclarations passées, incendiaires, perturbatrices et maladroites, refont surface et lui reviennent en pleine tronche. En un mot comme en mille, Bastien Vivès devient toxique.
Devant la contestation qui ne cesse de grandir et qui déchire le petit monde de la bande dessinée, ouvrant ainsi la porte à tous les pires dérapages, la direction du festival décide d’annuler l’exposition, dans l’espoir que la tension se relâche. La décision du FIBD n’a fait que raviver la flamme entre les opposants et les partisans de Vivès.
L’affaire se retrouve aussi devant la justice. Depuis 2022, trois plaintes ont été déposées contre le bédéiste, dont la dernière date du 24 janvier de cette année. De son côté, le Parquet de Nanterre ouvre, le 26 janvier 2023, une enquête préliminaire pour diffusion d’images pédopornographiques visant Bastien Vivès, Glénat et Les Requins Marteaux. Une enquête dont les conclusions ne sont toujours pas connues.
D’emblée, je dois dire que j’aime bien les bédés de Vivès. Pas juste Une sœur et Le chemisier mais aussi ses reprises de Corto. Pour ce qui est des Melons de la colère, de Petit Paul et de La décharge mentale, non seulement je n’en avais jamais entendu parler, mais ce type de bd ne m’intéresse pas et m’ennuie profondément. Bref, je ne suis pas en mesure de me prononcer sur le sujet.
Dans La vérité sur l’affaire Vivès, une improbable rencontre s’opère entre l’humour débridé, potache et sans filet des Monty Python et les délires bureaucratiques du fameux laissez-passer A 38 des 12 travaux d’Astérix. Le dessinateur y raconte ses démêlés fictifs avec la justice. Fictifs parce que, si, dans la réalité, la justice n’a pas encore tranché, dans la bédé, elle se serait déjà prononcée… Et pas en sa faveur.
Pour raconter son voyage dans les dédales surréels des procédures juridiques françaises, là où la main gauche ignore ce que fait la main droite, le bédéiste adopte un irrésistible ton grinçant. Parce que, devant l’absurdité, il est difficile d’être revanchard.
Obligé de se présenter régulièrement au commissariat, Vivès apprend qu’il doit participer à un stage de lutte contre la pédophilie, un stage de réhabilitation, quoi ! Au cas où… Un stage, logé, nourri, de 6 semaines.
Mais voilà, rien n’est jamais simple avec la bureaucratie. Non seulement il se retrouve seul participant à cette formation, animée par des intervenants étranges, mais, en plus, il réside dans ce qui ressemble à une ancienne cellule de prison.
Une fois le stage terminé, les autorités lui recommandent fortement de participer à une nouvelle formation. Mais cette fois-ci, sur la déconstruction de la bande dessinée. Un atelier totalement délirant où il y a plus de participants. Mais quels participants !
Dans un style dépouillé, où il ne garde que les traits essentiels, Vivès met en scène une comédie déjantée où la bêtise humaine nous surprend sans cesse. Comme si elle ne connaissait pas de limites.
De son stage de réhabilitation à celui de la déconstruction de la bande dessinée machiste, patriarcale et tutti quanti, le bédéiste nous guide dans un voyage en Absurdistan, là où le célèbre slogan de la revue Croc, « ce n’est pas parce qu’on rit que c’est drôle, » prend tout son sens.
Perdu dans les couloirs de cette maison qui rend fou, où nos certitudes rationnelles fondent comme neige au soleil, Vivès apprend à survivre. Même si son sarcasme, son cynisme et son humour noir ne sont pas les bienvenus. À la façon des dessinateurs de Charlie, je pense, entre autres à Luz, il tire sur tout ce qui bouge et ne rate aucune occasion de nous montrer toute l’inimaginable incongruité d’une situation qui n’en finit plus de dégénérer.
Le résultat est une bande dessinée qui m’a bien fait rigoler. Parce que, quelques fois, devant l’illogisme insensible du système ou du destin il n’y a que l’humour pour nous empêcher de ne pas sombrer dans le désespoir.
Bastien Vivès, La vérité sur l’affaire Vivès, Charlotte éditions.
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