Queen Lil & les femmes de la prohibition : Les nuits endiablées de la frontière.
Par Robert Laplante
On a tous entendu parler de la prohibition américaine, de la contrebande d’alcool, d’Al « scarface » Capone et d’Eliot Ness l’incorruptible. Même Petula Clark en a fait une chanson, grâce aux paroles de Serge Gainsbourg. Souvenez-vous de sa version des Incorruptibles.
Au fil des années et des productions culturelles sélectives et parfois défaillantes, on a fini par oublier la dimension du rôle joué par le Canada, et par extension le Québec, dans cette histoire. Et pour être considérable, le rôle, il l’a été.
Il est vrai que, avec ses 6 414 kilomètres, la frontière entre le Canada et les États-Unis, qui n’est pas facile à surveiller, peu peuplée et couverte d’épaisses et majestueuses forêts, constituait le terrain de jeu parfait pour tous les trafiquants. Jugez le Québec, qui bénéficie d’un accès facile au Maine, au New Hampshire, à New York et au Vermont. Cette proximité était trop tentante pour ceux qui souhaitaient faire passer des marchandises légales ou illégales de manière discrète, sans avoir à craindre les autorités douanières et policières des deux pays.
Parmi tous ces personnages frontaliers, plus ou moins douteux, il y en a certains qui se sont fait une place dans le panthéon des contrebandiers légendaires. C’est le cas de Conrad Labelle, Alfred Lévesque, Paul Frenchie Lafrenais, Olévine la Beauceronne et Lilian Miner. Lilian Miner, une Vermontoise connue à Boston sous le surnom de The Madam, est la propriétaire du Palace of Sin, une maison close située à la frontière entre l’Estrie et le Vermont.
C’est l’incroyable récit d’une femme audacieuse et imposante qui décide de prendre son destin en main dans une société hypocrite dominée par les hommes, racontée par l’historien Laurent Busseau et le dessinateur Stéphane Lemardelé dans Queen Lil & les femmes de la prohibition, une bande dessinée captivante qui rend hommage à cette Queen Lil et à cette époque fascinante qui a marqué ma jeunesse. La faute à qui ? À la série télé Les incorruptibles avec Robert Stark,
aux bédés de Sammy signées Berck et Cauvin et à la chanson de Petula Clark.
Stéphane Lemardelé et Laurent Busseau illustrent avec verve et enthousiasme cette période qui correspond bien à cette femme hors du commun, intelligente, convaincante et prévoyante. Fine négociatrice, Lilian Miner savait manœuvrer entre la légalité et l’illégalité, entre gangster et policiers, sans ne jamais se faire coincer, ou si peu. Avisée, Madam a su se retirer à temps, avec son petit pactole qu’elle a su, tout au long des années d’activités de son Palais du péché (1911-1930), faire fructifier.
Véritable héros des romans-feuilletons, des films noirs et des séries policières, Queen Lil était prédestinée à entrer dans la mythologie urbaine, à être l’objet de récits captivants transmis de génération en génération. Elle aurait pu le devenir, n’eut été notre tendance à oublier notre histoire populaire.
Mais Queen Lil & les femmes de la prohibition c’est plus que ça. C’est aussi une incursion dans les glorieuses années de la contrebande frontalière. Un saisissant polaroid de cette épopée criminelle populaire occultée. Une histoire populaire réduite, au mieux, à une curiosité folklorique locale pour touristes, amateurs d’histoires criminelles, et au pire, passé sous silence, ou oublié, par l’histoire officielle.
Il est possible que, de temps en temps, le duo s’autorise des écarts imaginaires, mais réalistes, comme cette association entre Lilian Miner et le trafiquant milliardaire, excentrique et impulsif, Conrad Labelle. Cependant, ces dérives confèrent une touche de vérité et d’humanité à la ligne frontière, au trafic illicite et à un Québec bien différent de celui décrit dans le temps d’une paix.
Grâce à une narration graphique et scénaristique ingénieuse et musicale, le duo nous offre un aperçu captivant de notre histoire populaire. Un petit morceau qui nous donne envie de parcourir cette séduisante Estrie contrebandière, qui mérite d’occuper une place plus importante dans notre mémoire collective.
Parce qu’à leur façon, ces personnages ont aussi façonné le Québec, lui ont donné sa spécificité et ont étanché la soif insatiable de millions américains qui en avaient bien besoin.
Tiens, il faudrait peut-être le rappeler à un Président américain qui semble, ces jours-ci, oublier l’importance de la relation entre les deux voisins.
Stéphane Lemardelé, Laurent Busseau, Queen Lil & les femmes de la prohibition, La boîte à bulles.
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