1629 : aux portes de l’enfer
Par Robert Laplante
Après la tempête de neige qui m’a frappé comme une gifle, le 16 février dernier, j’en ai reçu une autre quelques jours après. Plus puissante certes, mais surtout plus réjouissante.
Une redoutable gifle bédé, comme j’aime tant en recevoir, du nom 1629 ou l’effrayante histoire des naufragés du Jakarta, une des bédés maritimes les plus intéressantes des dernières années, dont le second opus est désormais disponible.
Si notre tempête hivernale a été plutôt agressive, elle n’était toutefois rien, comparée à celle qu’a essuyée le Jakarta en 1629. Un fléau météorologique, destructeur de biens et semeur de chaos.
Le navire de retour de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, parti de l’île de Texel aux Pays-Bas, devait initialement se diriger vers les Indes néerlandaises. Cependant, sa cargaison de pièces d’or et d’argent, évaluée à 250 000 florins, destinée au commerce des épices, a suscité l’appétit de l’équipage, en particulier celui du second, Jéronimus Cornélius, un apothicaire ruiné, rancunier et recherché par l’Inquisition.
Tout au long de la traversée, ce dernier, distille, subtilement, le poison de la mutinerie dans le sang de l’équipage. Cet équipage est épuisé par l’exigence physique des manœuvres et exaspéré par le mauvais traitement et le mépris des officiers et des dirigeants de la compagnie.
Il ne manque qu’une étincelle pour allumer cette poudrière flottante. Cette étincelle revêt la forme d’une tempête apocalyptique qui pousse Jakarta vers l’archipel aride et isolé des Houtman Abrolhos, à l’ouest de l’Australie. C’est un endroit où la vie semble impossible et la mort, certaine.
Inexorablement, l’apothicaire prend le contrôle de la nouvelle petite communauté insulaire, éliminant, avec l’aide de ses complices, ceux qui pourraient le contester. Il neutralise ainsi les dernières envies de rébellion des marins encore fidèles à l’armateur.
Le plan de second aurait été parfait, n’eût été la présence sur l’île de Lucrétia Hans, la seule passagère à bord du navire. Lucrétia Hans, comme Cornélius, ne souhaitait pas revenir à son ancienne vie et à ses contrôles liberticides. Dans une société en plein chaos, ce ne sont pas toujours les plus bruyants qui sont les plus forts.
Conclusion d’un des diptyques bd les plus impressionnants de la décennie, L’île rouge est encore plus bluffant que son prédécesseur. Xavier Dorison, maître conteur, nous offre dans ce second volume une fascinante étude d’une petite communauté au bord de l’abîme, qui s’efforce de préserver un semblant d’ordre social face à la menace d’une horde de mercenaires dirigée par un chef délirant.
Si le premier album relevait du thriller maritime, mais celui-ci est presque une bédé sociale, une implacable incursion dans les coulisses de l’obscurité humaine. C’est cette obscurité qui permet à l’homme, lorsque les circonstances sont favorables, de se défaire de son masque d’humanité et de laisser éclater sa nature animale, jusque-là contrainte par sa civilisation.
Des thèmes que Dorison explore depuis des années, oui, mais qui puisent ici un nouvel écho. C’est comme si le scénariste avait enfin trouvé le décor idéal pour mettre en scène la déchéance de l’humanité dans toute sa splendeur.
Dans ce petit monde clos et anxiogène, le scénariste manipule adroitement ses personnages, sacrifiant quelques pions martyrs pour renforcer la tension implacable et l’atmosphère malsaine de l’histoire.
Efficacement mis en image par un Thimothée Montaigne, cet opus final d’une sombre odyssée est d’ores et déjà un incontournable de l’année et sans doute de la décennie. Une œuvre majeure de bande dessinée, alliant habilement les genres du thriller nautique, du mystère mental et de l’observation d’un univers en déclin, rongé par ses divisions intestines, ses antagonismes sociaux et l’absence cruciale de ce que mon cher mentor, Jean-René Ravault, appelait « coerséduction », un élément clé pour graisser les engrenages d’une communauté.
Une bande dessinée captivante
Xavier Dorison, Thimothée Montaigne, 1629… ou l’effrayante histoire des naufragés du Jakarta, 2 tomes, Glénat.
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