Les fantômes de Pinochet : La main droite du diable.

                                         



Par Robert Laplante

Le 10 décembre 2006, Augusto Pinochet, qui a exercé le pouvoir au Chili de décembre 1974 à mars 1990, est décédé sans avoir eu à répondre de ses crimes devant la justice et le peuple chilien. C’est une fin prématurée et injuste pour un dictateur qui a causé la mort de 3 200 personnes et en a fait disparaître 38 000 autres, qui a torturé plus de 38 000 personnes et qui a emprisonné des dizaines de milliers d’opposants.

C’est peut-être pour rendre justice à toutes ces victimes, mortes ou vivantes, qui n’ont jamais pu trouver la paix, que le Chilien Felix Vega et l’Espagnol Francisco Ortega ont créé : Les fantômes de Pinochet, une bande dessinée coup de poing qui m’a ébranlé comme un crochet dévastateur en pleine mâchoire.

Février 2000, le dictateur octogénaire est coincé à Londres. Sous l’effet d’un mandat d’arrêt international, émis par la justice espagnole, Pinochet est bloqué dans la capitale anglaise. Un invité un brin gênant pour le gouvernement travailliste de Tony Blair, qui ne sait pas quoi faire de lui. Doit-il être livré à la justice espagnole ou plutôt être sauvé ? Une décision qui nous semble facile, mais qui ne l’est pas tant que ça pour le gouvernement de sa Majesté. Après tout, le vénérable général n’avait-il pas rendu de précieux services à l’Angleterre en défendant les Falkland contre l’Argentine, qui avait des visées un peu trop agressives sur ces îles à l’époque ?

En résidence surveillée chez lui en Angleterre, l’ancien dirigeant présomptueux dispose de tout le temps nécessaire pour se remémorer les souvenirs d’un passé qui le hante. Et il avait des fantômes et des squelettes dans le placard, il en avait à revendre !

L’officier toxique entame alors une longue descente vers l’enfer de son passé, entouré des visages de plusieurs de ses victimes malheureusement trop nombreuses.

De sa jeunesse, où il apprend à détester viscéralement les « gauchistes rouges », à son exil londonien, en passant par sa participation au coup d’État contre Allende, ses expériences néolibérales sous les recommandations des Chicago Boys et son implacable répression envers tous ceux qui contestent son autorité, c’est toute sa sombre carrière qui défile devant ses et nos yeux,

accompagné de l’Oncle Sam, de Bernardo O’Higgins , premier chef d’État du Chili indépendant et de Dents d’or, un démon issu du patrimoine chilien, le suffisant président revisite son parcours marqué par la trahison, la paranoïa, la violence et le sang.

Les deux auteurs de bandes dessinées nous entraînent avec une précision journalistique dans les profondeurs de l’histoire et les recoins tortueux de la psyché du dictateur. Impitoyable et rempli de regrets, frustré, revanchard et envieux, dévoré par son ambition et ses désirs et manipulé par ses proches comme un pantin d’opéra, Pinochet danse une valse sanglante avec le diable.

La bande dessinée est non seulement passionnante, mais aussi révoltante. On peut toutefois regretter les nombreux sauts chronologiques. Des allers-retours temporels qui peuvent, à l’occasion, perturber le rythme et l’efficacité de la narration. Surtout si l’histoire du Chili des 100 dernières années nous est inconnue.

L’éditeur a eu l’excellente idée d’inclure un court résumé des subtilités historiques en fin de livre. Toutefois, je crois qu’il aurait été plus payant de mettre les références en bas de pages, au lieu de les placer à la fin de la bande dessinée.

Une bande dessinée essentielle pour le Chili et pour nous. D’autant plus, que l’écho de son souvenir commence à s’estomper. Du moins dans la mémoire internationale.

                                 



En terminant, j’ai eu tout un coup de cœur cette semaine en lisant Noir Obscur, une merveilleuse bédé cynique signée Sébastien Duguay et Ghyslain Duguay. À mi-chemin entre les fameuses courtes bandes dessinées de Tales Front the Crypt, les hilarantes histoires macabres de Foerster et les idées noires de Franquin, les microrécits que proposent les deux auteurs sont de véritables petits polaroids grinçants des pires absurdités de nos sociétés. Il y a quelque chose de franchement réjouissant, malaisant et salvateur dans ces petits strips pleins d’humour noir.

                        


Une belle petite pépite qui fait du bien au sarcastique qui dort en moi.

Felix Vega, Francisco Ortega, Les fantômes de Pinochet, Nouveau Monde graphic.

Sébastien Duguay, Ghyslain Duguay, Noir Obcur, Station. T

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