Nostromo : Sympathie pour le diable.

                                                               

                                           

Par Robert Laplante

Il y a quelque chose qui me dérange ces jours-ci, mais je ne sais pas d’où ça vient. Peut-être est-ce à cause de l’hiver qui ne veut pas finir, de la marmotte qui a annoncé un printemps tardif ou d’un président aussi délicat qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine.

Je ne connais qu’un seul remède pour me redonner le sourire : un film, un roman ou une bande dessinée d’aventure au parfum suranné. Par exemple, je pourrais lire un Corto Maltese ou un Blueberry. Ou encore un livre de Joseph Conrad, ça fonctionne à tout coup. C’est justement ce que propose le bédéiste Maël dans sa nouvelle adaptation en bande dessinée du roman Nostromo, publiée chez Futuropolis.

                                         

Une petite précision pour commencer, la bd n’est pas actuelle. Elle date de l’été dernier, mais je n’avais pas encore eu le temps de la lire. Pourquoi ? Tout simplement parce que je n’avais pas envie de me plonger dans ces récits épiques de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.

                                    

Mais, à la conclusion du premier tome de ce diptyque, je ne peux que regretter de ne pas vous en avoir parlé plus tôt. J’ai beaucoup apprécié me laisser guider par Conrad et Maël dans cette Amérique latine prise en tenaille entre les désirs des anciens colons européens en déclin et l’arrogance des modernes puissances états-uniennes, guidées par la doctrine Monroe et la Destinée manifeste.

Nostromo, « notre homme », est un marin génois indépendant d’esprit qui possède une « coolitude » nonchalante à la Corto Maltese. Il a élu domicile, il y a quelques années, au Costaguana, un pays en proie à une instabilité politique permanente.

                             

Au matin d’un nouveau coup d’État, orchestré cette fois par les frères Montero, des brutes sanguinaires, Nostromo accepte de servir Charles Gould, un riche propriétaire de la mine d’argent de San Tomé. En effet, ce dernier, descendant d’une famille d’expatriés britanniques, craint que les insurgés ne s’emparent des richesses de la mine. Or, seul Nostromo, capitaine respecté et populaire des cargadores du port, peut éviter cette catastrophe. Mais voilà à force de serrer la main du diable, Nostromo ne risque-t-il pas de se perdre lui-même ?

                                       

Considéré comme le chef-d’œuvre méconnu de Conrad, Nostromo est une dramatique histoire où, sous prétexte d’une grande aventure, Conrad met à nu l’âme de ces hommes dévorés par une ambition démesurée. Une descente aux enfers hypnotique que Maël a su mettre en images avec force et brio.

Grâce à sa prose, le petit théâtre sombre de Conrad s’anime. Peuplée de perdants magnifiques, l’épopée aussi romantique que désespérée de l’écrivain trouve en Maël l’illustrateur parfait pour la raconter.

Située dans une Amérique latine mythique, à une époque charnière où l’impérialisme américain a succédé à l’impérialisme européen, Nostromo raconte un drame universel, celui d’un peuple dont le destin est sacrifié au nom des appétits malveillants de ceux qui se croient tout-puissants.

A mi-chemin entre le roman d’aventures, le roman social et le western à la Il était une fois la révolution de Sergio Leone,

                                         

Nostromo surprend par sa pertinence et son acuité. Il faut dire que, grâce à l’intelligence de sa construction narrative, à ses personnages aussi insaisissables qu’imprévisibles, et à ses échos d’un monde passé, mais drôlement actuel, la bande dessinée a tout pour plaire.

Très belle réussite ! Nostromo va me permettre de passer à travers le mois de février sans problème. Quant à ce fameux président américain, hélas aucun « Petit Mickey » ne pourra jamais le faire taire et encore moins le faire disparaître.

Maël, d’après l’œuvre de Joseph Conrad, Nostromo, Premier livre, Futuropolis.