Revoir Comanche : L’adieu aux armes

                                                         


Par Robert Laplante

J’aime les westerns crépusculaires. Ces ultimes moments, où l’ouest, en train de disparaître, danse un dernier « slow, » avec cette nouvelle Amérique qui va bientôt le remplacer. Je suis fascinée par ces moments où tout semble figé, comme cette scène magnifique du film Il était une fois dans l’Ouest. Cette scène où Jason Robards s’éteint dans un silence poignant, où Charles Bronson entame une quête solitaire

                              


 et où Claudia Cardinale offre à boire aux travailleurs du chemin de fer au son de la musique de Morricone

                                                   


 qui s’éveille lentement, Leone a capturé sur pellicule toute l’intensité de cette étreinte finale entre un vieil Ouest en déclin et un nouvel Ouest triomphant.


                           


La série « Comanche », que j’adore, a, elle aussi, dans son ADN cette rencontre entre ces deux Ouest mythiques. Plus la série d’Hermann et de Greg se développe, plus on sent que : Red Dust, Comanche et les autres membres du Ranch Triple 6 vivent sur un temps emprunté. Au fil des albums, on voit bien que la modernité les rejoint implacablement, qu’elle les transforme inexorablement en artefacts vivants, en témoignages anonymes d’un passé révolu.

                                  


Mais ça, le duo ne l’a qu’effleuré. Hermann ayant quitté la série, le tandem n’a pas pu se rendre au bout de ce filon. Cela me chagrine personnellement, car j’ai toujours eu l’impression, en relisant cette remarquable série, qu’elle méritait une véritable conclusion.

C’est peut-être pour ça que j’ai tant aimé ; Revoir Comanche, du talentueux Romain Renard. Tout au long de ma lecture, j’ai eu l’impression que l’auteur de l’incontournable Melvile avait mis enfin sur papier la conclusion naturelle de la série. Celle que les deux bédéistes auraient faite, s’ils avaient eu la chance de galoper une dernière fois ensemble dans le petit théâtre western, qu’il avait parcouru le temps de 10  albums.

                     



                                 

Quelque part au début des années 30, Cole Hupp vit isolé à la frontière d’une petite ville perdue. Il est grognon et asocial, et ne reçoit jamais de visiteurs, que ce soit de la part de la ville endormie ou de l’extérieur. Pourtant, ce jour-là, Vivienne Bosch, une historienne qui travaille pour la bibliothèque du Congrès, frappe à sa porte. La jeune femme, enceinte jusqu’aux yeux, recueille les récits de ceux qui ont vécu l’âge d’or de l’Ouest sauvage. Ça tombe bien, parce que Cole Hupp, lui, l’a bien connu cet âge d’or. Mais à l’époque, il était plus jeune et on l’appelait Red Dust. Red Dust, un dangereux pistolero dont la « légende est inscrite dans la poussière et le sang du Wyoming ». Son nom figure également sur la liste des criminels les plus recherchés par le FBI.

                            


À force de palabres avec le vieil ours, Vivienne réussit à la convaincre de revenir au ranch triple 6, de revoir Comanche et de lui parler de son Ouest sauvage. Mais il y a des fantômes qu’on ne doit pas ramener à la surface. Tout comme certains voyages ne devraient jamais être entrepris, de peur qu’ils ne se terminent pas comme on l’espère.

Mais n’est-ce pas le destin de ces vieilles légendes de l’Ouest qui n’ont plus leur place dans ce nouveau siècle ? Partir dans une dernière chevauchée au son des colts 45. Pour prouver qu’elles existent encore et qu’elles peuvent décider quand le rideau tombera, c’est ce qu’avait choisi Cheyenne dans « Il était une fois dans l’Ouest », c’est aussi ce que fait Red Dust.

Romain Renard propose une conclusion digne de cette grande série. La conclusion est tellement parfaite qu’on aurait du mal à croire qu’elle aurait pu se terminer autrement. À l’instar de Don Siegel avec The Shootist, le dernier tour de piste de John Wayne,

                             


 le bédéiste offre une fin aussi grandiose que crépusculaire à notre pistolero préféré. Voici une superbe ultime procession, au rythme des sonorités tristes d’une pedal steel guitar


                             


 qui égrène ses notes comme si elle voulait figer, l’espace d’un instant, l’Ancien Monde et empêcher le nouveau de se lever.



Romain Renard est toujours un écrivain remarquable, un conteur hors pair qui maîtrise l’ambiance, le « storytelling » et la musicalité des mots et des images. Quand j’ai su qu’il se frottait à Comanche, je ne m’inquiétais pas, je savais qu’il allait proposer une bédé au-dessus de la moyenne.

Mais je ne m’attendais pas à ce degré de maturité et de maîtrise. Chaque mot, chaque trait, chaque décor, chaque brin d’herbe, chaque dialogue de ce dernier opus respire la mélancolie douce-amère de cet univers qui disparaît, comme une photo qui tranquillement s’efface.

Romain Renard s’intègre de manière brillante dans la narration de Greg et d’Hermann, tout en poursuivant l’exploration des ambiances qu’il a créées depuis des années.

Le fruit de son travail est une bande dessinée à la dimension cinématographique. Le dernier salut d’un héros. Avant que le mot « fin » n’apparaisse à l’écran, que le générique se mette en marche, nous laissant encore impressionnés par le spectacle auquel nous venons d’assister.

Salut, Red Dust, bonne chevauchée éternelle dans les légendaires pâturages de l’ouest mythique !

Romain Renard, d’après l’œuvre de Greg et Hermann, Revoir Comanche, Le Lombard.

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