Tragiques illusions
Prisonnier du rêve écarlate
par Andreï Makine
Grasset
416 p
Tout commence par un film qui se termine en queue de poisson ou presque. C’est l’époque de la fin du communisme soviétique, et une équipe cinématographique française cherche un « spectre » : un ex-ouvrier français séduit par les illusions du stalinisme aurait traversé le Rubicon, adhérant au mouvement avant de connaître les affres des prisons du Goulag. Matveï Belov, un nom de plume, aurait laissé des carnets de notes sur sa vie tumultueuse. C’est une vieille dame qui a fourni ces précieux documents au réalisateur.
Avec Prisonnier du rêve écarlate, l’écrivain et membre de l’Académie française Andreï Makine se penche sur ces années de plomb en racontant probablement sa jeunesse et l’histoire de ces sympathisants qui pensaient que l’herbe était plus verte à l’est.
Ce roman historique est remarquable par sa puissance et sa cruauté, évoquant La Kolima de Varlam Chalamov et L’Archipel du goulag de Soljenitsyne, ainsi que Les Hauteurs béantes d’Alexandre Zinoviev. Il se distingue également par son espoir d’un avenir meilleur, voire radieux, et s’inscrit dans notre histoire, allant de 1939 au milieu des années 1970.
En 1939, le jeune ouvrier Lucien Baert, orphelin, sympathisant de la cause communiste, mais ignorant les conséquences de son acte, décide d’émigrer. Il est accueilli chaleureusement, mais de manière superficielle. Il est ensuite arrêté sans explication. Ses questions gênantes et les photos qu’il a prises ont joué un rôle dans cette arrestation. Son cœur pur, qui défend la veuve et l’ouvrier prolétaire, est ébranlé.
Il connaîtra les camps, mais sera rapidement « libéré », parce que l’armée rouge manque cruellement de soldats. Par un tour de passe-passe (beau clin d’oeil aux Misérables de Victor Hugo) il prendra l’identité d’un mort : Matveï Belov. Sous cette identité, il combattit, fut décoré, mais, une fois de plus, le chemin des camps l’attendra. Après avoir été libéré en 1956, il entamera une relation amoureuse avec Daria, une jeune Russe qui a elle aussi vécu des problèmes avec les sbires de Staline.
Mais l’histoire prendra un tout autre sens lorsqu’il rencontrera une journaliste française, vingt ans avant le brûlot explosif de Soljenystine. Devenu une vedette grâce aux écrits/témoignages récupérés par les anticommunistes, il s’engagera surtout pour ses camarades et contre un régime haïssable, qui continue de propager la bonne parole, malgré la répression et l’emprisonnement, même si nous ne sommes plus à l’ère des grands procès.
Ce livre remarquable explore les utopies du XXe siècle qui résonnent encore aujourd’hui, de l’ancienne Russie à la Russie d’aujourd’hui. Est-ce que tout a vraiment changé ? Si ce n’est pas le flot d’argent alimenté par le gaz qui permet à des oligarques au pouvoir d’agir sans scrupules, prêts à tout.
C’est également une épopée sur le courage et la conviction en des valeurs, au prix de la raison ou de la vie. Une charge feutrée contre un Occident parfois aveugle, et des poètes, tels Aragon, qui encenseront un bourreau paranoïaque, comme sa police politique.
Que Raymond Aron avait raison en parlant de l’Opium des intellectuels !
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