L’ange Pasolini, l’ambigüité ambulante.
Par Robert Laplante
Le 2 novembre 1975, le corps du réalisateur, par qui le scandale arrive toujours, Pier Paolo Pasolini, est retrouvé sans vie sur la plage d’Ostie. Un adolescent de 17 ans, Giuseppe Pelosi, est inculpé pour l’avoir brutalement frappé jusqu’à la mort. Cette fin tragique est à l’image de ses personnages pour l’un des artistes les plus importants de l’Italie d’après-guerre. Presque 50 ans après sa tragique disparition, Denis Gombert, Arnaud Delalande et Éric Liberge, lui redonne vie dans L’ange Pasolini, une intéressante biographie dessinée d’un des plus fascinants créateurs du pays de la botte.
Artiste insaisissable, Pasolini est déchiré par ses ambiguïtés, ses incohérences et son fatalisme critique. « Anarchiste, mais obsédé par la métrique, militant acharné, mais poète en douceur, communiste convaincu, mais toujours excommunié du Parti, progressiste réactionnaire, mystique chrétien, mais anticlérical, pacifiste, mais prince du scandale dans la guerre des lettres, syndicaliste urbain amoureux de la ruralité., homosexuel, mais hantée par la culpabilité » écrivent avec justesse les auteurs dans le court épilogue de la bande dessinée.
Ce portrait s’adapte parfaitement à ce réalisateur, poète, écrivain, cinéaste, dramaturge et humaniste qui crée une œuvre éclectique, insaisissable et imprévisible. Tout comme cette Italie, qui se trouve prise entre ses racines chrétiennes parfois teintées de l’odeur rance du fascisme et une gauche moderne qui semble vouloir reproduire l’esprit de l’Ancien Monde qu’elle dénonce.
1 novembre 1975, Pasolini agonise sur la plage déserte en cette fin de la Toussaint. Lui, « le mystique chrétien anticlérical », lui, le réalisateur du très bel Évangile selon Saint-Mathieu, ne pouvait rêver d’une tombée de rideau plus ironique. Pensez-y, martyrisé au nom de ses idéaux, de son œuvre, de ses prises de position passées et à venir, battu à mort et écrasé par l’automobile de ses assaillants, la journée qui célèbre les martyrs et les saints. Il semble que Dieu ait un sens aigu de l’ironie.
Agonisant seul sur cette plage froide et déserte, Pasolini reçoit la visite d’un ange, ou peut-être de la Grande Faucheuse, qui lui rappelle sa vie. Une existence captivante et tortueuse, marquée par des zones d’ombre et de clarté.
Dans cette bande dessinée, Denis Gombert, Arnaud Delalande et Éric Liberge reconstituent la vie de ce cinéaste, qui a le mérite de nous faire nous souvenir, de nous étonner et de nous rappeler l’importance d’un réalisateur qui pourrait être tombé dans l’oubli en raison du passage du temps ou de notre mémoire sélective.
Ce récit graphique biographique traditionnel, qui n’a rien de péjoratif, met en lumière la profondeur et la richesse de la personnalité de Pasolini. Une complexité comparable à celle de l’Italie, qui a du mal à se remettre de la tragédie fasciste, étant dans l’incapacité de tourner la page de son passé, que ce soit mussolinien ou catholique.
Fils d’un militaire fasciste, alcoolique, paranoïaque et héros national, c’est lui qui avait démasqué Anteo Zamboni, un adolescent anarchiste ayant tenté d’assassiner le Duce le 31 octobre 1926. Le réalisateur est une contradiction vivante, aussi insaisissable que la vie, aussi insaisissable que l’Italie d’après-guerre.
À travers des bribes d’existence, le trio nous fait pénétrer dans les coulisses obscures de l’esprit du réalisateur, de la société italienne en transformation et du cinéma italien à son apogée.
Bien que la bande dessinée présente un style narratif et visuel classique, moins audacieux que l’œuvre du cinéaste, et qu’elle soit un peu plus courte, ce récit captivant nous donne envie de revoir les films de Pasolini. Et c’est l’essentiel.
Ne serait-ce que pour ça, la bande dessinée tombe à point.
Quant à son assassin, Giuseppe Pelosi, après avoir purgé sa peine, il reviendra sur sa culpabilité en 2005. Selon le cinéaste, quatre individus masqués à l’accent sicilien seraient responsables de son décès. Un règlement de comptes ? Peut-être… N’avait-il pas révélé que son prochain roman, Pétrole, allait dévoiler le rôle secret et coordonné du parti chrétien-démocrate, des groupes pétroliers, de la CIA et de la mafia dans la disparition d’Enrico Mattei, responsable de l’ENI, une entreprise pétrolière italienne nationalisée, trop proche des pays communistes ? Une disparition au cœur de l’excellent film L’Affaire Mattei, qui a remporté la Palme d’or au Festival de Cannes en 1972.
Mais ça, c’est une autre histoire.
Denis Gombert, Arnaud Delalande et Éric Liberge, L’ange Pasolini, Denoël Graphic.
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