L’orangeraie, les mensonges meurtriers.

                                                   


             

Par Robert Laplante

Le passé est cruel. On croit le saisir, mais il nous échappe. On pense le comprendre, mais il se transforme et remet en question nos convictions. Le passé est malicieux et trompeur, un manipulateur qui réécrit les histoires selon son bon vouloir, ses désirs et ses oublis.

                                                       


Les canots de Satan.

Par exemple, la chasse-galerie. Elle a d’abord été mise sur papier en 1881 par Marie-Caroline Watson Hamlin, puis en 1891 ou 1892 par le coloré journaliste, maire de Montréal et, plus tard, station de métro, Honoré Beaugrand. Elle a été interprétée par Claude Dubois,

                               


Éric Lapointe et La Bottine souriante,

                                          



 et a été filmée par Jean-Philippe Duval. Elle a inspiré la légendaire Pitoune de La Ronde. Bien que nous pensions la connaître parfaitement, il s’avère que nous n’en connaissons pas la véritable version. Pourquoi ? Elle aurait été édulcorée. Aucune idée, peut-être, pour ne pas détruire l’image glorieuse et messianique de la nation canadienne-française, patrie du véritable catholicisme en Amérique du Nord.

                                      


Heureusement, Alexandre Fontaine Rousseau et Xavier Cadieux ont pu obtenir la véritable version. Je ne peux rien vous dire sur le sujet, sauf que le diable a joué un rôle clé. Il raffole des récits dans lesquels il est le héros. Pour en lire, il est prêt à tout, même à manger de la pizza hawaïenne.

En tout cas, nos deux bédéistes n’avaient pas le choix face à cette « offre qu’ils ne pouvaient refuser » (à la manière de Don Corleone ou de René Angélil). Ils se sont donc retrouvés à conter la véritable histoire de la Chasse-Galerie, en peignant un portrait plus sombre de notre légende nationale. Je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée d’en parler juste avant la fête nationale.

En réalité, je suis incapable de résumer « Les canots de Satan », car j’ai deux raisons pour cela. D’une part, je n’ai vraiment pas envie que le grand cornu vienne me visiter et me menace de manger de la pizza hawaïenne pour me punir de l’avoir mal raconté. Comme j’ai peur de Satan… et de la pizza hawaïenne. Je ne tenterai pas le diable, comme le conseille le vieil adage.

                                 


D’autre part, et c’est la raison principale, on ne peut pas résumer cette histoire sans commune mesure. Il faut la lire et la vivre. Les canots de Satan représentent une expérience qui ébranle toutes nos habitudes et certitudes de lecteurs.

Stupéfiante fusion entre : Rapides et Dangereux, Un monde fou, fou, fou et Ces merveilleux fous volant dans leurs drôles de machines, La grande course autour du monde et son adaptation animée d’Hanna et Barbera Les fous du volant, Samuel Cantin, le Gotlib de Pilote et les Monty Pythons, Les canots de Satan est une des bandes dessinées les plus drôles de la dernière décennie. Une incroyable tornade d’humour absurde et potache. On y trouve un Bas-Canada devenu le nouveau Pandémonium terrestre, des contrebandiers, un super-espion du Vatican, un Satan revanchard, un castor narrateur, qui en sait beaucoup plus qu’il ne veut le dire.

Plaisir jouissif, « Les Canots de Satan » est une irrésistible pantalonnade. Elle fait passer les exploits du baron de Münchhausen pour de la petite bière. Merveilleusement servi par le dessin nerveux et rythmé de Xavier Cadieux, le récit délirant d’Alexandre Fontaine-Rousseau nous entraîne dans une incroyable course-poursuite, riche en rebondissements, en coups de théâtre et en fanfaronnades hilarantes. Le tout se joue sur le sort du Bas-Canada.

À lire… à vivre.

                                              


L’orangeraie.

Le passé est fourbe et cruel, je l’ai dit. En particulier, lorsqu’il vous entraîne dans une situation inextricable, où tout le monde sera perdant. De plus, quand il vous trompe pour vous pousser à être un martyr, alimentant ainsi sa soif de vengeance et son désir de puissance. Oh oui, le passé est perfide, cruel et bien souvent menteur.

Montréal, quelque part aujourd’hui. Aziz est un jeune comédien. Engagé pour jouer dans la pièce Cantate de guerre, Aziz est incapable de s’investir dans son rôle. Mikaël, le metteur en scène, accepte de le rencontrer dans un café pour en discuter. Aziz explique son refus de jouer dans la pièce et Mikaël comprend sa réaction. La pièce est difficile, presque insupportable, mais la guerre, elle aussi, est difficile et insupportable et c’est exactement ce qu’il veut montrer.

                                


Mais voilà, Mikaël ne vit pas la guerre. Aziz, lui, la connaît, dans ses tripes et dans son sang. Il l’éprouve du temps où il se nommait Amed, qu’il était un jeune gamin qui jouait avec son allié et qu’il avait été recruté, à son corps défendant, pour devenir une bombe humaine. Chaque famille doit faire des sacrifices pour cette cause. Et, sans l’intervention de son frère, il aurait fait partie depuis longtemps des martyrs qui remplissent les couloirs sombres des paradis religieux. Refugié à Montréal, Amed, métamorphosé en Aziz, vit depuis avec la culpabilité d’avoir laissé son frère prendre sa place dans cet absurde jeu qu’on nomme la guerre.

Adaptation dessinée du roman du dramaturge Larry Tremblay, L’orangeraie est une très très belle bd. De celle, qu’on garde précieusement dans sa bibliothèque et qui continue de nous habiter bien longtemps après sa lecture.

Troublante, l’Orangeraie fait mal. Elle parvient à rouvrir des plaies dont on ignorait jusqu’à présent l’existence. Pierre Lecrenier a magnifiquement illustré L’orangeraie, qui évoque la même force, l’égal mystère et l’identique désarroi que j’ai ressentis dans Incendies de Wadji Mouawad et dans Les Citronniers d’Eran Riklis.

                                                       


Il est crucial de se rappeler que les victimes de ces conflits sont souvent des innocents qui ont été trompés au nom d’un passé qui arrange certaines personnes.

Xavier Cadieux, Alexandre Fontaine Rousseau, Les canots de Satan, Pow Pow

Larry Tremblay, Pierre Lecrenier, d’après le roman de Larry Tremblay, L’orangeraie, Rue de Sèvres.

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