Sir Arthur Benton : Portrait de l’espion en traitre.

 

                                                            


Par Robert Laplante

Il m’arrive souvent d’acheter des bédés qui ne sont pas des nouveautés et dont j’aurais envie de vous parler.

Mais, mon article, axé sur les nouveautés, ne me permet pas toujours de parler de mes petites découvertes. Alors, malheureusement, je dois garder ces petites découvertes pour moi. Sauf quand…

 L’actualité, soit la commémoration d’un événement historique, m’ouvre la porte. C’est le cas pour cette chronique, diffusée durant la semaine rappelant le débarquement de Normandie, le mythique jour J, ou le D-Day, comme se plaisent à le dire nos cousins médiatiques d’outre-Atlantique. Je les comprends, ça fait vachement plus sérieux, plus dramatique, plus authentique et plus balèze de dire le D-Day. Beaucoup plus que le jour J.

Sir Arthur Benton, lui, ne l’a pas fait le jour J. Et pour cause, il était au cœur de l’appareil nazi, là où se prenaient les décisions les plus cruciales. Il transmettait quotidiennement, sans relâche, aux Anglais et à leurs alliés des renseignements leur permettant de combattre les puissances de l’Axe.

Depuis ses débuts, Arthur, un espion anglais infiltré au sein des bureaux du Parti national-socialiste des travailleurs allemands, n’a de comptes à rendre qu’à Churchill. Impitoyable et d’un froid glacial, Benton, un anticommuniste notoire, rejoint les rangs du futur parti nazi à la demande de certains membres du gouvernement et du haut commandement militaire.

Pour accomplir sa tâche, Benton doit faire croire qu’il a trahi. C’est ignoble ! Les Alliés ont mis sa tête à prix, ce qui démontre sa loyauté envers le régime et son accès au cercle restreint du dictateur. Tout d’abord, il gravira les échelons de la hiérarchie nazie, évitant les détours, pour devenir un collaborateur apprécié de Wilhelm Canaris, amiral allemand et responsable de l’Abwehr, le service de renseignement de l’armée allemande. Canaris était également un opposant clandestin aux nazis, en particulier à Reinhard Heydrich.

Cette série de romans a été publiée en intégralité chez Emmanuel Proust entre 2005 et 2010, puis rééditée chez Nouveau Monde en 2021. Sir Arthur Benton m’a passionné et étonné.

                                         


Il faut admettre que j’ai une profonde affection pour les romans d’espionnage à la John Le Carré. Ces histoires où les apparences sont trompeuses et où les évidences ne sont que des leurres pour brouiller les pistes.

Tarek, à l’instar de Robert Littell dans son livre Philby, portrait de l’espion en jeune homme, propose une intrigue solide et complexe. Une intrigue où la vérité se mêle au mensonge. Le lecteur est comme le Petit Poucet qui suit les traces de cailloux dans la forêt. Des détails subtils qui, sous des apparences inoffensives, révèlent une profondeur insoupçonnée.

Rappelons que, dans son fabuleux roman consacré à Kim Philby, l’espion le plus énigmatique des « Cinq de Cambridge » (ces cinq Anglais issus de la haute société qui ont trahi leur pays en faveur de l’URSS), Littell se demande si Philby n’était pas, non, un traître, mais un agent secret britannique infiltré jusqu’au cœur du pouvoir soviétique. Cette idée audacieuse, mais stimulante, a également guidé l’écriture de Tarek.

Pendant 142 pages, Benton parcourt les coulisses les plus sombres de la guerre, poursuivie par Marchand, l’homme de de Gaulle, qui a décidé d’en finir avec lui.

Si le décor créé par le scénariste est réussi, il aurait pu bénéficier d’un dessin plus maîtrisé, en particulier dans les premières pages. Le style graphique de Stéphane Perger pourrait bénéficier d’un meilleur équilibre et d’une plus grande fluidité. Le trait oui, mais aussi le lettrage qui aurait pu être plus soigné. Mais, dès qu’il acquiert un peu d’aisance, qu’il s’approprie l’univers et le rythme de Tarek et qu’il repousse ses frontières, il lui donne un souffle nouveau et un petit parfum hypnotique.

En utilisant habilement la plausibilité, un élément clé de ce récit, les auteurs ont réussi à me tromper jusqu’à la fin. En effet, dès que j’ai lu la conclusion, j’ai immédiatement cherché des informations sur Benton, me demandant s’il était une personne réelle ou non. Et, même si j’avais déjà des doutes à propos de son existence au milieu de l’album, il faut admettre que les auteurs ont réussi à semer en moi le germe de cette idée maudite : « Et si c’était vrai ? ».

En effet, Churchill a affirmé que « La vérité est si précieuse pendant les conflits qu’elle doit être défendue par un rempart de mensonges. » On peut donc supposer que ce rempart de mensonges était en réalité composé par Benton, ou par des personnes ayant accompli la même tâche.

Une belle découverte.

Tarek, Stéphane Perger, Sir Arthur Benton, l’intégrale, 2 tomes, Nouveau Monde.

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