Didier Tronchet : La troisième métamorphose.

                                                               



Par Robert Laplante

Curieusement, le début de l’été aura vu la publication de deux excellents récits consacrés au père, cet inconnu. Une nouvelle tendance ? Peut-être… ou est-ce juste un heureux hasard. Après le remarquable « Un père » de Jean-Louis Tripp, c’est maintenant au tour de Didier Tronchet de nous en parler dans son émouvante BD, « Le cahier à spirale ». Il est vrai que nous héritons de nos parents, mais il est important de reconnaître que, même aujourd’hui, ils restent mystérieux et intrigants, malgré le temps passé en leur compagnie.

                                            


« Est-ce qu’on les connaît vraiment ? Je n’en suis pas certain » s’interroge Didier Tronchet. « Quand nous sommes arrivés, ils étaient déjà âgés, » ils avaient déjà vécu un paquet de trucs qu’ils n’ont pas automatiquement partagés avec nous. « J’ai l’impression qu’à notre arrivée, ils se sont créé une image qui ne tenait pas toujours compte de ce qu’ils étaient vraiment et de ce qu’ils avaient vécu. »

                                          


Pourtant, il avait déjà parlé, en long et en large, de ses parents dans ses albums précédents. Pourquoi nous les présenter de nouveau ? « Oui j’en avais parlé, mais mes souvenirs dans ces albums étaient plus construits, plus interprétés. Ce qui n’est pas le cas ici, où je ne raconte que les faits. »

« Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende », disait Carleton Young dans L’homme qui a tué Liberty Valance. Didier Tronchet aurait-il suivi le conseil de ce personnage de fiction ? « N’est-ce pas le but de toutes les histoires de nous faire croire qu’elles sont vraies ? Je pense que le lien entre le récit et le lecteur est plus fort quand il croit que c’est la vérité… même si ce n’est pas le cas. Si j’ai senti le besoin de revenir sur l’histoire de mes parents, c’est que je me demandais si je n’avais pas été abusé par mon cerveau. » Qui, comme tout bon cerveau, qui se respecte, veut donner un sens à tout. « Peut-être qu’inconsciemment j’avais tout arrangé pour faire une belle histoire, » gommant ici et là, sans le savoir, certaines zones d’ombre. « Je voulais être honnête, ne présenter que les faits. » Et voir s’il n’y avait pas d’éléments cachés dans les interstices de son passé.

                                  


Pour y parvenir, il devait affronter sa famille, en commençant par la personne centrale de son histoire : sa mère. « Je l’ai questionné et j’ai noté tout ce qu’elle me racontait dans un cahier à spirale. Je ne voulais pas tant faire d’introspection sur mon histoire familiale, ce qui n’a qu’un intérêt limité pour le lecteur, que d’explorer des zones qu’il a visitées, qu’il visite ou qu’il visitera aussi dans sa vie. » Notamment cette méconnaissance parentale. « Plusieurs lecteurs m’ont dit que la bédé les avait incités à discuter avec leurs parents. Parce qu’eux aussi ne les connaissaient pas. Moi j’ai eu la chance de pouvoir parler avec ma mère et je me suis sauvé des remords de n’avoir pu le faire. »

Le cahier à Spirale, bande dessinée autobiographique qui a mis près de vingt ans à se concrétiser, reste dans l’esprit du Tronchet. Il mélange l’humour et la tendresse des mots et des traits, tout en laissant peut-être un léger contrôle derrière lui. Comme si le récit avait imposé sa propre loi. « Effectivement je n’ai pas tout calculé. Je voulais laisser de la place à l’inconscient. Je ne voulais pas m’entourlouper moi-même. J’aurais pu avoir le même résultat avec une thérapie ou une psychanalyse, mais je trouve que la bédé est parfaite pour ce genre d’exercice. » Et moins onéreuse…

                                  


« La bédé permet de mettre en scène de choses proches, mais avec de la distance. Ce type que je dessine, ce n’est pas moi, c’est un avatar. Et cette position d’avatar permet de canaliser sur lui ce qui pourrait être dérangeant. C’est à lui que ça arrive, pas à moi. Moi, je suis presque un biographe, de démiurge. Je ne suis pas entièrement cette personne. »

Autobiographie, même s’il n’aime pas le terme — « je ne suis pas un grand amateur des autobiographies. Il y a une complaisance qui me dérange un peu. On se montre toujours sous son meilleur jour. L’autobiographie c’est un peu l’enquêteur qui investigue sur son propre crime. Il y a peu de chances qu’il s’accuse lui-même » — Le cahier à spirale semble marquer le début d’une nouvelle métamorphose pour Tronchet.

Il connaît bien ce processus, puisqu’il est passé d’un Tronchet humoriste, débridé, irrévérencieux et potache à un Tronchet humaniste, totalement différent, grâce au magnifique Là-bas, adapté du roman de son épouse Anne Sibran. Un album qui a ouvert son cycle plus autobiographique. « J’ai commencé dans l’humour et les grosses blagues parce que j’avais cet aspect-là en moi. Mais c’était aussi pratique d’avoir des personnages comme Jean-Claude Tergal, parce que je pouvais me dissimuler derrière eux. Ils me permettaient d’aborder des questions essentielles sur moi. Toutefois, à un moment donné j’ai senti des limites. Je ne voulais pas être le boxeur qui fait un combat de trop. Je ne me voyais pas faire du Raymond Calbuth et du Jean-Claude Tergal toute ma carrière. Je voulais être plus sincère. » Même si ça signifiait la perte de certains de ses lecteurs. « Tant pis, tout est préférable à la répétition et à la dissimulation. »

Pendant quelques années, le bédéiste s’est adonné à la confession avec succès. Cependant, il semble que son dernier ouvrage, « Le cahier à spirale », marque la fin de cette période. Il ne sait pas encore quelle direction il prendra, mais il a hâte d’explorer de nouveaux horizons. Ce qui ne veut pas dire que je ne reviendrais pas à l’autobiographie. Mais, pour l’instant je ne pense pas en refaire tout de suite. Si on se revoit dans quelques années et que je vous parle encore de moi, de ma mère, de ma famille, vous pourrez me rappeler ce que je viens de vous dire » conclut-il avec un rire un peu potache. Un relent du Tronchet première mouture ? Peut-être.

Je ne manquerai pas de lui rappeler. Il peut être certain de cela.

Et, quand j’y réfléchis, je me tairai probablement. Surtout si sa bande dessinée est aussi réussie que Le Cahier à spirale.

Didier Tronchet Le cahier à spirale. Dupuis.

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