Émilie Plateau à la recherche de Vivian Maier.
Par Robert Laplante
Ce qui est intéressant lors des festivals, ce sont les rencontres inattendues. Par exemple, j’ai fait la connaissance d’Émilie Plateau, une illustratrice, lors du dernier festival de bande dessinée de Montréal. J’avais déjà eu l’occasion de la questionner à deux reprises, mais cette fois, nous avons pu discuter en personne. Dans un coin tranquille d’une librairie spécialisée en bandes dessinées sur la rue Saint-Denis, où il pleuvait toujours, nous avons parlé pendant trente minutes du travail de la photographe Vivian Maier, qui est l’objet de leur bande dessinée, Vivian Maier, claire-obscure, qu’elle a réalisée avec Marzena Sowa.
Il ne fait aucun doute que Vivian Maier était une figure remarquable, à bien des égards opposée au mythe américain. Elle était chasseuse d’images du quotidien, une femme libre dans une Amérique qui ne l’était pas. Elle refusait de se mettre en vedette, préférant vivre discrètement, sans faire développer ni promouvoir sa production photo.
Cette véritable et authentique espèce d’oiseau rare a su conquérir le cœur d’Émilie Plateau. Il y a un mystère irrépressible qui l’entoure et une irrésistible envie de la comprendre. « Je l’ai découverte en 2012 ou en 2013, quand j’ai visionné Finding Vivian Maier, le documentaire que lui a consacré John Maloof. Après Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin, Dargaud m’a proposé de faire une autre biographie dessinée. Et Vivian Maier s’est imposée à mon esprit. »
Bien sûr, le mystère Vivian Maier lui plaisait, c’est évident. Vous en connaissez beaucoup, vous, des interprètes qui préfèrent le réconfort de l’anonymat aux mirages scintillants de la célébrité et de la reconnaissance publique. « Je pense qu’elle voulait garder sa liberté artistique, faire les photographies qui lui ressemblaient. Ce qui n’aurait peut-être pas été possible si elle avait été liée à un galeriste. » Après tout, il y a plein de gens qui pratiquent des disciplines artistiques dans leurs maisons, juste pour eux. Ce n’est pas une obligation de vouloir en vivre ».
Cependant, l’énigme Maier n’était pas la seule raison de son entrée dans l’univers de la photographie argentique. « J’aimais son humour, sa poésie, son besoin de représenter les détails du quotidien. » Ces détails presque insignifiants qu’on ne remarque plus tellement ils sont banals. « Je trouvais des échos de ses préoccupations dans les miennes. Pour moi c’était une sociologue qui s’exprimait avec la photographie. »
Avec l’aide de son amie, la scénariste Marzena Sowa, Émilie Plateau a entrepris cette démarche. « Au début je travaillais seule, mais rapidement devant la quantité d’informations et la complexité de sa personnalité, j’ai demandé l’aide à Marzena Sowa. »
Une nouveauté pour celle qui a l’habitude d’être la seule maîtresse à bord après Dieu. « C’était un peu vertigineux. » D’autant plus vertigineux qu’elles étaient de bonnes copines. « Ça n’a pas été facile de céder la partie du scénario. Je voulais être libre de mon propre style graphique et éviter un découpage trop précis, alors elle m’a donné un roman avec des échanges que je pouvais adapter en bande dessinée. » Bon, j’ai réécrit un peu certains dialogues, mais ce fut une véritable collaboration » souligne-t-elle avec enthousiasme. « La preuve, c’est qu’on est toujours amies et qu’on a envie d’œuvrer à nouveau ensemble. »
Le projet d’Émilie Bravo a été une expérience vertigineuse, non seulement pour l’actrice, mais aussi pour la scénariste. Celle-ci a admis être « tétanisée » par le défi de la biographie en bande dessinée, un genre qu’elle n’avait jamais abordé auparavant. Cependant, elle savait qu’il était impossible de tout raconter, c’est pourquoi elle a préféré qualifier son travail d’essai biographique.
Ce sentiment, elle l’avait, elle-même, expérimenté lors de la création de son excellente bédé sur Claudette Colvin. « Pour Claudette, je voulais absolument respecter sa vie, mais il n’y avait pas beaucoup d’informations sur sa vie. J’ai dû à l’occasion extrapoler des trucs. »
Ce qui n’a pas été le cas avec Vivian, puisqu’elles ont pu compter sur la précieuse aide de Françoise Perron, autrice de Vivian Maier, en toute discrétion. Une Françoise Perron magnanime, qui leur a donné accès à toute sa documentation sur la photographe, y compris des entrevues avec ceux qui l’avaient connu et des photographies. « La première mouture du scénario faisait 500 pages. On a donc dû élaguer pour garder que ce qu’on considérait comme le plus important. » Quitte à faire des ellipses pour le reste.
Si Françoise Perron leur a ouvert généreusement son coffre-fort Vivian Maier, ce ne fut pas le cas des dépositaires de ses photographies, beaucoup moins enthousiastes. « Je n’ai pas pu utiliser ses photos pour une question de droits. J’ai donc dû les redessiner, mais sans être totalement fidèle. »
Sans compter que, pour bien les intégrer dans son récit, elle a dû pour la première fois utiliser le traditionnel gaufrier et les gros plans. « Je n’en avais jamais fait. Au début les gros plans m’ont tétanisé. C’était un défi. » Tout comme l’utilisation du gaufrier et la reproduction du format des photographies provenant des Rolleiflex. Mais, comme elle aime se lancer des défis, elle a été servie à souhait.
Peu connue au moment de la signature du contrat avec Dargaud, en plein confinement, Vivian Maier s’est imposée et s’expose maintenant partout sur la planète. Plusieurs expositions lui ont été consacrées depuis la reprise des activités après la pause COVID : au Luxembourg, en France, en Angleterre, aux États-Unis, en Suisse et ailleurs. Une popularité soudaine un peu étrange pour une personne qui la fuyait. « On s’est beaucoup demandé si on avait le droit de raconter une femme qui, toute sa vie avait refusé la célébrité. »
Mais une chance pour moi, elles se sont donné le droit de nous en dire plus. J’ai donc pu apprendre à connaître Vivian Maier. Ce qui m’a permis de la découvrir et, depuis, recommander à plusieurs de mes proches son travail. Et cette bande dessinée qui m’habite encore.
Émilie Plateau, Marzena Sowa, Vivian Maier Claire-Obscure, Dargaud
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