Urbance : Le manga qui venait de l’Île Jésus.
Par Robert Laplante
Je ne suis pas un grand amateur ni un grand connaisseur de mangas. À part les magnifiques Akira et Gen d’Hiroshima, je n’ai jamais vraiment succombé à leur charme. Est-ce un traumatisme causé par la Minifée de mon enfance ? Peut-être. Je ne saurais le dire. Toutefois, quand vient le moment de choisir une bande dessinée, je ne me dirige pas, naturellement, vers un manga.
Même si je ne les lis pas régulièrement, je les apprécie quand j’en choisis un. C’est ce qui est arrivé avec Urbance de Joël Dos Reis Viegas. Le troisième et avant-dernier opus de la série vient d’arriver en librairie. Il est vrai qu’avec son parfum des Guerriers de la nuit, le film culte de Walter Hill de 1979, et de son remake italien signé Enzo G. Castellari, Les guerriers du Bronx, un nanar de première classe, le manga du Franco-Canadien avait tout pour me plaire.
« Oui le Hill est effectivement une référence, comme plusieurs autres dystopies de cette époque » confesse Joël Dos Reis Viegas. « Normal, je suis un enfant des années 80 et 90. 1984 d’Orwell, Fahrenheit 451 de Bradbury et Sin City de Miller ont aussi joué un rôle important dans la construction de l’univers anxiogène d’Urbance. » Un petit monde où filles et garçons vivent dans des castes séparées et ne doivent jamais se rencontrer. Jusqu’au moment où…
Urbance, qui se distingue par son style cyberpunk et son influence japonaise, ne correspond pas à la définition traditionnelle d’un manga ou d’un manfra. « Oui, le format est un format manga, mais je ne reprends pas ses codes traditionnels. Je dirais que l’histoire est plus nord-américaine ou européenne, qu’asiatique » précise celui qui verra bientôt son Urbance sortir aux États-Unis dans un format plus grand que le manga. « J’aurais pu choisir un autre style, le franco-belge classique, par exemple, mais c’est le manga qui me donnait le plus de liberté narrative. Il y a un côté immédiat dans le manga que j’aime beaucoup. »
Une immédiateté qui se marie merveilleusement bien à l’urgence d’un récit qui roule à tombeau ouvert, sans ne jamais prendre de pause. « Il n’y avait que le manga qui me permettait ce rythme, qui me donnait l’occasion de mettre l’emphase sur l’action. »
J’ai beaucoup aimé ce manga, mais je ne suis pas un expert. Urbance surprend par la maturité et la maîtrise de son récit. Le créateur semble parfaitement connaître son univers, ce qui est normal, puisqu’il a commencé à travailler dessus en 2011, en parallèle à son travail dans l’industrie du jeu vidéo. « Les premiers croquis d’Urbance sont nés en réaction à un jeu sur lequel je travaillais, Thief, pour Eidos Montréal. C’était un jeu sombre et dépressif qui a presque fini par affecter ma vie personnelle. »
Urbance se transforme alors, pour l’artiste, en une sphère rafraîchissante et bénéfique, émergente au milieu du chaos de Thief. « J’ai pris le temps de cultiver mon univers. Au début, je n’avais aucune idée de ce que j’allais en faire. Je l’ai présenté à des amis qui ont vu son potentiel. Alors j’ai continué à travailler dessus, en veillant à ce que mes autres contrats ne viennent pas l’influencer. »
Si au début le projet se décline en animation,
https://www.youtube.com/watch?v=8F_rXxp6KY8,
l’idée d’une bédé s’impose tranquillement dans son esprit. « La bédé fut plus facile à faire parce qu’elle reposait sur ce qu’on avait déjà fait pour l’animation. »
Il faut nuancer un peu. La version qu’il a présentée à Ankama était la 8e mouture de son projet. « J’ai beaucoup travaillé le scénario. Ce qui n’avait pas été le cas pour le dessin animé, où il n’y avait pas vraiment de scénario. Entre l’animé et la bédé, j’ai réécrit plusieurs fois l’univers pour arriver à l’essence même du récit. Quand je l’ai présenté à l’éditeur, il avait presque sa forme finale. Ankama m’a aidé pour le reséquencer et pour donner plus d’épaisseur et de crédibilité à certains personnages. Mais je contrôlais mon univers. Je connaissais sa fin, j’avais déjà mon image finale. »
Joël Dos Reis Viegas est un illustrateur très sollicité dans l’industrie du jeu vidéo, de l’animation et du scénarimage. Il mène trois carrières en parallèle, dont sa vie familiale, ce qui lui impose un mode de vie spartiate. « Il faut avoir une bonne gestion au quotidien et savoir être concis. Une chance je travaille rapidement. Le jour, je bosse sur mes contrats et 4 soirs par semaine, entre 20 h et minuit, je me consacre à ma bédé. Les week-ends, eux, appartiennent à ma famille » précise le créateur qui se dit aussi influencé par Moebius, Tardi, Druillet, Toppi, Breccia et Pratt. « J’aimerais bien refaire de la bédé plus traditionnelle, des one-shots, mais c’est une question de temps. » Et du temps, on sent qu’il n’en a pas beaucoup à sa disposition dans une semaine.
Alors que le tome 3 vient à peine de sortir, Joël Dos Reis Viegas s’attelle déjà à l’écriture de l’ultime tome. Un quatrième album qui devrait en principe conclure son manga. En principe, parce que rien n’est coulé dans le béton. « Si le public le désire, il pourrait y avoir d’autres histoires d’Urbance, avec d’autres personnages ou dans d’autres endroits. C’est pour ça qu’au début du premier tome, il y a une carte géographique. C’est un monde riche aux possibilités immenses. Mais si ça arrive, je ne sais pas si je serais au scénario ou au dessin. C’est très demandant de faire les deux, surtout avec des enfants et d’autres boulots. Si ça devient rentable, là, je pourrais faire les deux, mais pour l’instant ça prend trop de temps. »
Joël Dos Reis Viegas, Urbance trois tomes parus, Ankama.
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