La Muette : L’antichambre de l’enfer.

 

                                                 


Par Robert Laplante

Certaines lectures sont difficiles, elles nous font souffrir. Elles sont presque insoutenables, mais elles sont essentielles. « La muette de Drancy » fait partie de ces lectures qui ne vous laissent pas tout à fait indemnes.

Situé au nord-est de Paris, dans la ville du même nom, le camp d’internement de Drancy a servi de prison pour des milliers de juifs français, ou réfugiés, entre 1941 et 1944. Installé dans un vaste bâtiment en forme de U dans la cité de la Muette, Drancy devient à partir de 1942, un lieu de transit, dernière étape avant la déportation vers les camps d’extermination. Parmi les 75 000 Juifs déportés depuis l’Hexagone, 67 000 ont transité par Drancy.

                                  


La Muette, Drancy, un camp aux portes de Paris raconte le quotidien dans cette prison, tristement célèbre pour ses conditions de vie effroyables (sous-alimentation, maladies dont la dysenterie, infestations de poux et de rats), ainsi que pour sa brutalité. En effet, les gardes-chiourmes ont multiplié les sanctions arbitraires, les punitions violentes et les humiliations envers la population incarcérée. Drancy c’est l’antichambre de l’enfer avant de connaître celui des camps de la mort.

                                    


« Découvrez la première bande dessinée consacrée à Drancy, selon les mots d’Annette Wieviorka, historienne spécialiste de la Shoah qui signe la préface. La BD de Valérie Villieu et Simon Géliot vous bouleversera par la précision de sa représentation implacable de ce mal ordinaire dissimulé derrière le visage impassible et zélé des fonctionnaires trop zélés. » Elle remet en question nos certitudes bien-pensantes et nos jugements faciles, devant l’insoutenable dilemme des prisonniers qui doivent être les matons pour sauver leur vie.

                              






Plongée angoissante au cœur d’un enfer créé par des idéologues, la bande dessinée est un témoignage saisissant, réaliste, presque anthropologique, éloigné des visions émotionnelles, teintées de bonnes intentions, hollywoodiennes, d’une des périodes les plus sombres de l’histoire de France. C’est une expérience bouleversante qui nous plonge dans l’un de ses coins les plus sombres. Tellement sombre qu’on imagine difficilement comment ses pensionnaires ont pu y survivre jour après jour, sans penser au suicide.

Les auteurs ont reconstitué, à partir des témoignages des survivants et des rares photos, le quotidien des détenus de ces camps, harcelés par une administration insensible et des gardiens cruels et intraitables, et angoissés devant la perpétuelle menace d’embarquer dans l’un de ces trains lugubres qui se dirigent vers Pitchipoï,  ce lieu imaginaire et merveilleux, ultime ironie pour éviter de mentionner de terribles noms des camps de la mort.

Journal d’une expédition dans les coins les plus infernaux de la psyché humaine, La Muette, Drancy, un camp aux portes de Paris, témoigne du désespoir, de la déshumanisation et de la résilience de ces prisonniers, qui tentent de s’accrocher à leur humanité et au moindre souffle espoir, provenant des rumeurs qui circulent anarchiquement depuis le château rouge, surnom qu’on donnait aux latrines du camp construites avec de la brique rouge.

Difficile de rester de glace devant cette bande dessinée essentielle.

Mais pour l’instant, c’est à nous d’y plonger. Parce que j’ai l’impression que, nous aussi, on a fini par l’oublier cette histoire, surtout celle de Drancy.

Valérie Villieu, Simon Géliot, préface d’Annette Wieviorka, La Muette, Drancy, un camp aux portes de Paris, La Boîte à Bulles.

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