Le diable et Coral : L’enfer n’est pas toujours pavé de bonnes intentions.

                                                  


Par Robert Laplante

Faire un marché avec le diable, ce n’est pas facile. Belzébuth ne perd que très rarement, comme le sait bien Martin de la Chasse-Galerie.

Mais, d’accord, Martin a réussi à s’en tirer. Il a été condamné à voler, en canot, dans le ciel de Montréal, du coucher au lever du soleil. Je ne suis pas certain que ce soit mieux que d’aller en enfer. C’est une question de point de vue, j’imagine.

« Anyway », il est extrêmement rare qu’un être humain pauvre parvienne à tromper le grand cornu. Cependant, il y a quelques exemples qui prouvent le contraire. Coral Loew, le personnage central de la bande dessinée époustouflante de Homs, « Le diable et Coral », en est un.

                          


Quand le diable est descendu à Prague.

Prague, 1938. Coral Loew, 18 ans, jeune arnaqueuse, sorcière circassienne et fille d’un célèbre rabbin exorciste, est descendante de Judah Loew ben Bezalel, le mythique rabbin qui a donné vie au Golem de Prague.

Depuis qu’elle a assisté, dans son enfance, à un exorcisme raté de son père, Satan est accroché à ses baskets. En effet, chassé du corps de son hôte, il a décidé de la posséder.

                                       


Pour remédier à cette malheureuse plaisanterie d’un destin plutôt taquin, le rabbin Loew décide de pratiquer un nouvel exorcisme. Encore une fois tout part en eau de boudin. Si Lucifer quitte le corps de Coral, il reste cependant lié à elle, sans pouvoir retourner en enfer. C’est ainsi que, coincé entre deux mondes, il doit attendre qu’elle commette une action illégale pour la posséder à nouveau. Une situation qui, on s’en doute, ne plaît pas du tout, au Seigneur des Ténèbres, le vrai pas Ozzy, qui doit abandonner son royaume, le temps qu’il se tire de ce mauvais pas.

Bien sûr, on peut arrêter temporairement un exorcisme. Toutefois, il faut savoir que seul l’exorciste initialement impliqué dans la procédure peut y mettre un point final. C’est même une condition sine qua non de sa réussite. Malheureusement, l’affrontement a été tellement difficile que le pauvre rabbi Loew a endommagé son cerveau. Il est donc incapable de terminer le travail.

                        


Dans un ultime geste désespéré, Satan propose à l’homme de lui échanger son âme contre celle de sa fille. L’homme accepte avec empressement. Satan récupérera son dû au décès de l’homme. Entre-temps il s’engage à laisser sa gamine en paix. Ce qui ne devrait pas être long, puisque le rabbin semble beaucoup diminué depuis leur rencontre, presque végétatif.

                           


Cependant, le rabbin refuse de mourir, ce qui met Satan dans une grande colère. Bien qu’il soit le souverain du royaume maléfique et qu’il inspire la crainte chez ses subordonnés, une rébellion démoniaque demeure une possibilité. Sans la présence du diable, les petits diablotins se mettent à danser, c’est bien connu.

Sans surprise, des nazis maléfiques causent des ravages en Tchécoslovaquie. Certains Juifs envisagent de réveiller leur protecteur, le Golem. Mais qui peut accomplir cette tâche ? Le rabbin Loew est toujours absent, mais surtout, sa fille, qui maîtrise la magie à la perfection. L’option choisie déçut énormément l’ange révolté qui avait placé beaucoup d’espoir dans la force chaotique d’Hitler.

Fable illustrée par Homs : « Le diable et Coral » est l’une de mes bandes dessinées favorites de l’année. C’est une véritable pépite, remplie d’humour, de dynamisme, de profondeur et de références charmantes à des chefs-d’œuvre du genre horrifique, notamment un clin d’œil malicieux à l’affiche du film culte « L’Exorciste », réalisé par William Friedkin.

Avec son trait élégant, sa mise en page rythmée, son scénario efficace, rempli de rebondissements, d’imbroglios et de coups de théâtre, ainsi que ses dialogues savoureux, qui parfois frôlent l’absurde, Homs propose un petit diamant dessiné, passionnant du début à la fin. Une exploration humoristique de l’enfer qui m’a beaucoup rappelé le plaisir que j’avais à lire les bandes dessinées de Philippe Foerster, un bédéiste que j’adore et dont l’univers est similaire.

Tenez-le-vous pour dit, Le Diable et Coral est une belle réussite. Si vous ne voulez pas que le grand diable vienne vous persuader de sa pertinence, je ne peux que vous recommander de penser comme moi.

                       


Le diable est dans les détails… et dans les mots.

Je dois avouer que, tout comme vous, je suis saturé d’entendre certains termes ou expressions qui sont malheureusement trop souvent utilisés à tort et à travers, comme « impacter », « problématique », « enjeu », « drastique », ou encore « porte-parole ». Ces mots, que l’on entend souvent dans la bouche des spécialistes de la communication, des fonctionnaires et des universitaires, finissent par perdre leur sens initial et deviennent presque incompréhensibles. « Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde » aurait affirmé Albert Camus.

                         


Si comme moi, vous n’êtes plus capable d’entendre ces entorses langagières, qui, bien souvent ne veulent rien dire, mais qui donnent un vernis d’intelligence à nos propos, il faut absolument lire Le français au micro, chroniques de langue de Guy Bertrand ancien conseiller linguistique à Radio Canada dont l’absence se fait quotidiennement sentir sur les ondes de la société d’état.

                               


Avec son humour, son efficace vulgarisation, ses exemples évocateurs et le rythme de ses capsules, Guy Bertrand propose un indispensable livre de chevet. Je ne peux plus m’en passer, car j’y apprends toujours quelque chose de nouveau.

En ce qui concerne le Paradis, je l’espère sans les mots « impact », « problème », « drastique », « enjeu » et « première priorité ». Sinon, j’aimerais plutôt aller en enfer avec Rabbi Loew, le père de Coral.

Homs, « Le Diable et Coral », Dargaud.

Guy Bertrand, « Le français au micro », chroniques linguistiques, Le Robert, Québec.

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