L’Or du Spectre : Le crépuscule des deux.
Par Robert Laplante
On le sait : un casse, un vrai casse, un magnifique casse, le genre de chef-d’œuvre exige du temps et de la préparation. Beaucoup de préparation, même ! Tout doit être réglé au quart de tour. Cependant, même avec une préparation minutieuse, un simple hasard peut faire dérailler les plans et transformer l’opération en désastre.
Il y a un os dans la moulinette.
Prenons l’exemple de Chuck. Il avait tout planifié, y compris caché son trésor dans un village abandonné du Nouveau-Mexique, ignoré de tous. Cependant, il n’avait pas prévu cette sentence qui l’a contraint à passer quelques années derrière les barreaux.
Une fois dehors, il repart au Nouveau-Mexique, avec son amoureuse, Kat, qui l’a patiemment attendu, récupérer son pactole. Cependant, comme on peut s’y attendre, cette belle planification s’effondrera rapidement, car beaucoup de gens sont intéressés par ses dollars, y compris sa copine, qui a l’intention de s’emparer du butin.
« L’or du Spectre », une réjouissante bande dessinée signée Philippe Xavier et Matz, est un excellent western moderne. Il met en scène ces magnifiques perdants qui tentent, tant bien que mal, d’avoir un aperçu de ce rêve américain qu’on leur a promis.
Avec une maîtrise parfaite de son art scénaristique, Matz nous offre un petit joyau, aux couleurs des Quentin Tarantino, Robert Rodriguez et Oliver Stone de la période Demi-Tour. Il nous garde constamment sur le bout de notre siège grâce à ses courts chapitres haletants qui construisent un thriller néo-noir, d’inspiration cinématographique, anxiogène et ironique.
Un excellent polar crépusculaire qui en doit beaucoup aux magnifiques dessins de Philippe Xavier. Avec son trait efficace comme une montre suisse, le dessinateur représente avec finesse la démesure d’un Nouveau-Mexique mythique écrasé sous le soleil implacable et dans des paysages arides plus grands que nature. Il est impossible de ne pas penser à La mine de l’Allemand perdu et au Spectre aux balles d’or, diptyque légendaire de Blueberry, en regardant ses illustrations pleines de sueur, de poussière et de chaleur torride.
Si le plus important est le voyage et non la destination, on peut dire que la quête de Chuck et de kat est plus que réussie. Mais ça, c’est du point de vue d’un lecteur, bien sûr, et non de kat… et encore moins de Chuck.
Parker où la colère de Dieu
Parker, lui aussi, l’avait bien planifié son casse. Enfin pas lui, mais le commanditaire. Tout était réglé jusqu’aux petites choses. Sauf deux, qui ont quand même une certaine importance. Le premier, le montant contenu dans les coffres de la National and Savings bank de Cedar Falls, une ville de l’Iowa, était beaucoup moins important que prévu. Le second, il y avait un traître dans l’équipe. C’était un opportuniste qui avait décidé de tourner casaque et de s’emparer du magot. Il tuait par la même occasion ses collègues.
Hélas pour lui, Parker avait réussi à se sauver avant la grande liquidation. Et, comme vous le savez probablement. Parker n’est pas du genre à se laisser faire. Il décide donc de se mettre en chasse de celui qui a tenté de l’arnaquer. Quand Parker se fâche, il ne fait pas dans la dentelle et quand il décide de vous pister, vous ne pouvez qu’implorer Dieu de vous aider. Aucune cachette ne sera assez sûre pour l’empêcher d’assouvir sa vengeance.
Richard Stark, alias Donald E. Westlake, l’un des maîtres du polar, a adapté son roman en bande dessinée, intitulée Stationner, la proie. Cette bande dessinée captivante où on prend plaisir à suivre les aventures de ce malfrat impitoyable et antipathique.
Souvent adapté au cinéma, notamment par Taylor Hackford avec Jason Statham, l’impassible Parker, archétype de l’antihéros de la grande époque du film noir, trouve dans les mots de Doug Headline et les traits de Kieran, le véhicule parfait pour s’imposer dans le monde francophone de la bande dessinée. Le duo a su saisir à la perfection l’âme sombre de ce personnage hors norme, qu’on ne veut avoir ni comme ennemi ni comme ami.
Il faut dire qu’Headline, qui connaît parfaitement les polars noirs et néo-noirs, jongle à la perfection avec ses codes, son rythme, son obscurité et son langage. Grâce aux mots du scénariste, le gangster parvient à se forger une nouvelle identité, qui semblait peut-être impossible à capturer sur grand écran. C’est comme si la bande dessinée était le moyen idéal pour représenter son univers sordide.
Ici aussi, la renaissance de Parker en doit beaucoup aux magnifiques dessins de Kieran. Avec son trait sombre, minimaliste et tendu, qui évoque les parfums de Will Eisner et Darwyn Cooke, qui avait lui aussi adapté en bande dessinée les romans de Westlake, Kevian confère une dimension inquiétante à cet univers sombre, déprimant et dénué d’espoir, aussi ténébreux que les âmes de Parker et de sa proie.
Fabuleuse bande dessinée noire, Parker se fond à merveille dans cet été déclinant. Quand le soleil ravigotant tente un dernier baroud d’honneur avec la tristesse de l’automne. Et si Parker était plus du côté de l’automne que de l’été…
Espérons qu’il revienne bientôt assouvir d’autres vengeances.
Xavier, Matz, L’Or du Spectre, Le Lombard
Kieran, Headline, Parker la proie. Aire noir, Dupuis.
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