Trous de mémoires : mission impossible
Par Robert Laplante
Est-ce que vous avez pris le temps, pendant vos vacances estivales, de découvrir certains musées historiques ? Moi oui. Je raffole des musées historiques. Il y en a trop peu, à mon goût.
Mais, bon, concevoir une exposition historique, ce n’est pas facile. Alors, créer un tout nouveau musée consacré à cette discipline, je vous laisse imaginer !
Normal, me direz-vous. Ce n’est pas comme si on pouvait créer un musée historique en claquant des doigts. Il faut considérer tous les aspects, apaiser les susceptibilités, consulter les spécialistes et les parties concernées, et endurer plusieurs reproches. Demandez au gouvernement Legault, par exemple, ce qu’il en pense. Dès l’annonce de la création du Musée national de l’histoire du Québec, le 25 avril 2024, il a fait face aux critiques, aux insatisfactions, aux moqueries et aux allégations de parti pris venant de presque tout le monde.
Finalement, ouvrir un musée d’art est peut-être plus consensuel…
Trous de mémoires.
Si c’est compliqué au Québec, imaginez en France où tout peut devenir une crise nationale presque civilisationnelle. C’est une de ces crises que raconte Nicolas Juncker dans son hilarante bédé, Trous de mémoires.
Maquerol, un photographe de renommée mondiale, s’est éteint à l’âge de 84 ans dans sa résidence de Provence. Pour rendre hommage à ce géant de la photographie de presse, Paris, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et la mairie de la commune varoise ont décidé de transformer sa maison en un musée en son honneur et en mémoire de toutes les victimes de la guerre d’Algérie.
Entre l’intention initiale et la réalisation du musée, il y a un gouffre. Ce gouffre, quasiment impossible à franchir, s’approfondit chaque fois que le projet avance.
C’est bien beau un musée pour commémorer les victimes de la guerre d’Algérie, mais de quelles victimes parle-t-on ? Est-ce celles des Français, des Algériens, des pieds-noirs ou encore des harkis ? C’est un imbroglio insoluble qui ne peut que décevoir. Surtout quand on sait que des associations de vétérans français veulent contrôler la mémoire du lieu et ne supportent pas l’idée de voir des victimes algériennes y être représentées.
La conciliation s’avère aussi difficile entre l’historienne Stéphanie Delbeille-Violette, qui a été nommée au conseil scientifique du musée, et l’imposant Jean-Claude Wollaert, responsable de la scénographie de l’exposition. Immense plasticien, Wollaert est beaucoup plus intéressé par son ego surdimensionné que par le souvenir des victimes de la guerre sans nom.
Sans parler de la petite politicaillerie des politiciens opportunistes et des protestations de la veuve Poaillat, qui veut préserver la mémoire de son défunt mari. Bref, tout un micmac, qui ressemble à une migraine carabinée.
Inspiré par le fiasco du projet de musée de la France en Algérie, qui devait initialement s’installer à Montpellier, Trous de mémoire explore la relation complexe entre la grande histoire et la petite histoire, ainsi qu’entre les souvenirs personnels et les récits officiels.
Grâce à son humour absurde et à son cynisme délicieux, le dessinateur de bandes dessinées met en lumière cette conversation animée et confuse où chacun interprète la réalité historique à travers son propre prisme et ses intérêts personnels. Avec un rythme effréné qui évoque à la fois le slapstick et la comédie française des années 1970, Juncker nous entraîne dans une partie de chaises musicales frénétique où tous tentent de trouver une chaise libre une fois l’orchestre silencieux.
Maniant sa plume comme un scalpel, Juncker explore les profondes plaies de la guerre d’Algérie. Ces plaies empêchent, du moins pour le moment, la création d’un musée qui relate cet épisode tragique de l’histoire française. Une belle lecture de fin d’été.
Le Musée national de l’histoire du Québec devrait ouvrir ses portes quelque part en 2026. On verra bien le résultat. En attendant, il risque d’alimenter bien des controverses.
Le poids de nos traces.
S’il y a un sujet à controverse par excellence au Québec, c’est bien notre système de santé. Si la littérature, la télévision et le cinéma s’y intéressent depuis longtemps, la bande dessinée y est encore relativement absente.
En effet, le thème n’est pas des plus simples. Cependant, grâce à son ouvrage remarquable intitulé « Le poids de nos traces », Julien Poitras nous offre une réflexion visuelle et narrative presque poétique sur la pratique médicale au Québec.
Médecin d’urgence au Centre hospitalier affilié universitaire Hôtel-Dieu de Lévis, doyen de la faculté de médecine de l’Université Laval, éditeur et auteur de bande dessinée, Julien Poitras présente une magnifique bande dessinée qui bouleverse autant qu’elle surprend. Il nous invite à faire une incursion hypnotique dans un riche univers poétique, symbolique et philosophique. Dans « La chauve-souris et la boîte de biscuits », chaque illustration propose une expérience qui marque l’imaginaire.
En cette fin d’été mélancolique, je ne pouvais rêver d’une meilleure conclusion.
Nicolas Juncker, Trous de mémoires, Le Lombard.
Julien Poitras, Le poids de nos traces, Moelle Graphik
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