Le meunier hurlant : Le moulin du changement

 

                                                       


Par Robert Laplante

Vous connaissez Arto Paasilinna ? Moi, pas du tout. Mon inestimable confrère et ami Christophe, sans doute. Rien n’échappe à son œil perçant.

Arto Paasilinna est un des écrivains finlandais les plus connus de la planète. Auteur de trente-cinq romans, traduits en plus de vingt-sept langues dont le français, il était aussi scénariste pour le cinéma, la télévision et la radio. Tout comme il a été : bûcheron, ouvrier agricole, flotteur de bois sur les rivières du nord, journaliste et que sais-je encore. De quoi nourrir sa plume évocatrice qui explore avec sensibilité une Finlande rurale, mystérieuse, un peu « pagnolesque, » truffée de personnages pittoresques et hauts en couleur.

                             


Si, aujourd’hui, je vous parle de cet auteur, qui m’était encore ignoré la semaine dernière, c’est à cause de Futuropolis qui a publié cet été, une très belle adaptation en bédé de son Meunier hurlant signée Nicolas Dumontheuil. Une histoire fascinante qui nous ouvre la porte sur un monde méconnu, mais pas si loin du nôtre après tout.

Laponie finlandaise, 1951. Agnar Huttunen, vétéran de la guerre contre les Soviétiques et par la suite contre les nazis, vient s’installer dans un de ces petits villages reculés où la modernité n’a pas encore vraiment d’emprise. C’est qu’Huttunen vient d’acquérir le moulin local laissé à l’abandon depuis 1937.

                                     


Être meunier, ça ne l’inquiète pas du tout le Agnar. Après tout il l’était quand il habitait plus au sud, à Kilkoiset. Mais ça, c’était avant l’incendie qui a tué sa femme et avant la guerre. Un conflit qui l’a fortement ébranlé. Qu’il n’est plus lui-même depuis sa démobilisation.

Outre son moulin, qu’il bichonne avec soin. Agnar aime la solitude de la forêt. Mais par-dessus tout, il aime imiter les cris des animaux. Et pour ça il est doué. Rien ne lui fait plus plaisir que de hurler comme un loup quand la nuit sombre tombe sur la bourgade septentrionale, réveillant au passage les chiens et terrorisant les habitants qui craignent comme la peste les canis lupus. De quoi se faire beaucoup d’admirateurs chez ses voisins qui le trouvent un peu trop étrange et imprévisible.

                                          


Incapables de le comprendre, d’accepter son excentricité, les villageois, encouragés par certaines têtes fortes, se liguent contre lui. Pour eux, il ne fait aucun doute, Il est fou. Et qui plus est, un fou qui pourrait devenir violent. D’autant plus qu’il s’est chamaillé avec l’épicier, qui essayait de l’arnaquer, et que la femme de l’aubergiste, une mégère inapprivoisée et un cauchemar sur patte, l’accuse de l’avoir handicapée à vie.

Les villageois décident alors de le faire enfermer dans un hôpital psychiatrique. Mais voilà, il n’est arrivé le jour où Agnar se verra privé de sa liberté.

Arto Paasilinna a écrit « : « Les Finlandais ne sont pas pires que les autres, mais largement mauvais pour que j’aie de quoi écrire jusqu’à la fin de mes jours. » Et pour être suffisamment mauvais, ils le sont les personnages de son livre. Enfin pas tous. Il y a bien, ici et là, quelques individus qui aident Agnar à survivre dans ce monde hostile, sans compassion, où les « étranges » dérangent au point de devenir des ennemis du gros bon sens et de l’ordre établi. Mais ils se comptent sur les doigts d’une main.

                            


Admirablement mise en images par Dumontheuil Le meunier hurlant est une comédie amère qui fait autant rire qu’elle choque et nous attriste. Sous la plume du bédéiste, le petit univers de l’écrivain finlandais devient un théâtre cruel où sous des airs faussement humoristiques se libèrent nos facettes les plus sombres.

Passant du rire aux larmes, Dumontheuil illustre avec émotion une histoire troublante qui m’a beaucoup habité. Avec son trait séduisant et son habile utilisation du noir, du blanc, du gris et de la sépia, le dessinateur peint un village d’antan aux couleurs des antiques daguerréotypes. Une bourgade enneigée, entourée de forêts immenses et majestueuses, luthérienne, froide, fermée, accueillante, mais oppressante et craintive devant les parfums des grands chamboulements que les vents annoncent.

Incapables de s’adapter à Agnar, les villageois préfèrent enterrer son souvenir au plus profond d’eux et retourner à cette vie tranquille où le temps s’écoulait lentement,.

Mais on le sait, tout ce qu’on cache fini par ressortir. Et un jour ou l’autre les mélodies de la folie d’Agar reviendront bouleverser le petit village.

Une belle rencontre.

Nicolas Dumontheuil d’après le roman d’Arto Paasilinna, Le meunier hurlant, Futuropolis.

Commentaires

Messages les plus consultés de ce blogue

Les bandes dessinées de l’année 2023

Les coups de coeur de l’année 2023

Jean Giraud alias Moebius : L’homme pluriel.